UNE HISTOIRE UNIQUE

1. Des prémices aux premières missions au Groenland et en Terre-Adélie

Les Grands Anciens :
L’appréhension du Monde par les Européens occidentaux a été lente et progressive. C’est du moins l’impression qui ressort de l’examen des archives officielles. En fait les découvertes se sont faites le plus souvent en suivant des routes que les autochtones empruntaient depuis longtemps déjà. Les cartographes des puissances politiques ou commerçantes ont patiemment collationné les observations des navigateurs et des voyageurs qu’ils pouvaient réunir en se gardant soigneusement de les divulguer. Cette méfiance intéressée ne facilitait pas l’essor des connaissances. Les routes des pôles, plus tardives pour l’essentiel, ont été, elles, plus innovantes. Si leur conquête fit l’objet d’une compétition entre navigateurs, elle fut aussi plus ouverte et amorça une véritable collaboration. Si dans cette quête les anglo-saxons et les scandinaves se sont montrés les plus nombreux et les mieux connus, des Français de qualité ont également pris part aux découvertes et laissé la trace de leurs exploits.

Nous ne serons pas exhaustifs, mais essayons un panorama de nos marins et de leur apport à notre connaissance des hautes latitudes.
Au IVe siècle avant notre ère Pythéas, le Marseillais, a franchi le cercle polaire arctique après avoir reconnu les Hébrides, les Orcades, les Shetland, les Féroé et l’Islande (Thulé). Il pénètre ensuite en mer Baltique et s’enfonce jusqu’au golfe de Finlande (voir la notice de Pythéas). Suivent deux millénaires relativement calmes. Puis, après les grandes découvertes du XVe siècle, on commence à parler de la terra australis incognita et commerçants et chasseurs partent à sa recherche. En 1504 le sieur de Gonerville, d’Honfleur, perdu dans une tempête vers le Cap de Bonne espérance a cru l’atteindre et son témoignage servira d’aiguillon pendant deux siècles à ses successeurs. Mais sa Terre des Perroquets n’était probablement que le Brésil.

Les XVIIe et XVIIIe siècles sont ceux de la Compagnie des Indes Orientales qui fera beaucoup naviguer entre le Cap de Bonne Espérance et le détroit de Magellan. Ses capitaines plongeront dans le Sud, certes sans grands succès. On se rappelle de Gennes, Gouin de Beauchesne, Terville, les malouins Poré et Doublet, Frézier qui doutera de l’existence même d’un continent austral, et Bouvet qui, le premier, se heurtera aux glaces par 54°S près de ce qu’il nommera Cap Circoncision et qui deviendra l’île portant son nom. La seconde moitié du XVIIe siècle voit l’arrivée des grands navigateurs. Ce sont Bougainville avec Guyot et Chênard de Giraudais, Etchevery, Surville, puis Marion Dufresne et Crozet qui découvrent les îles Marion et Prince Edward et le groupe des Crozet mais manque l’île qu’atteindra Kerguelen avec Saint-Alouarn et à laquelle Cook donnera son nom.

En Arctique, la concurrence est plus rude et les Français moins nombreux. Cependant dès 1524 le Dieppois Jean Ango cherche le passage du Nord-Ouest. Un siècle plus tard Bourdon longe le Labrador et atteint la Baie d’Hudson où le suit Le Moyne d’Iberville tandis que La Varenne explore le Spitzberg. Au début du XVIIIe siècle de Courtemanche hiverne au nord du Labrador et quelques décennies plus tard on retrouve Kerguelen en mer du Groenland et en Islande et La Pérouse à Sakhaline et au Kamtchatka.


Les voyages scientifiques :
Depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle les puissances font accompagner leurs expéditions de reconnaissance et de prise de possession par des scientifiques, naturalistes, astronomes, géographes, hydrographes, .. Cette tendance se renforce au XIXe siècle et l’on verra de nombreux marins français, d’Entrecasteaux, Huon de Kermadec, Beautemps-Beaupré, Baudin, Freycinet, Duperrey, Dupetit-Thouars reconnaître les terres les plus australes et descendre toujours plus au Sud. Parallèlement et plus discrètement, sur leurs traces, des flottilles de chasseurs de phoques exploitent les nouvelles découvertes souvent jusqu’à l’épuisement de la ressource. Ils participent néanmoins au développement de la connaissance des confins antarctiques.

Ont ainsi été découvertes, les Malouines, la Géorgie du Sud, les Orcades du Sud, les Shetland du Sud et on soupçonne l’existence de la péninsule antarctique quand un navigateur britannique, Weddell, assure avoir atteint la latitude de 74°15′ dans une mer libre de glaces. C’est ce que veut vérifier Dumont d’Urville quand il quitte Toulon en septembre 1837. Il échouera, mais aura reconnu de nouvelles terres auxquelles il donnera des noms français (Louis-Philippe, Joinville, ..). Après divers travaux géographiques et scientifiques en Océanie, il repartira vers le Sud depuis Hobart et débarquera en Terre-Adélie le 21 janvier 1840.

La Marine Royale, puis Nationale, maintient la présence de la France dans les eaux australes. Cecille sur l’Héroine protège les baleiniers français dans le Sud Indien. L’observation du passage de Vénus devant le Soleil en 1874 motive les voyages de Jacquemart sur la Vire et de Mouchez et Duperré sur la Dives. Puis en 1882 c’est la première année polaire avec un hivernage à terre dans la Baie Orange en Terre de Feu sous la direction de Courcelle-Seneuil et des travaux d’hydrologie et d’ethnographie sur les fuégiens à partir de la Romanche sous le commandement de Marial.

Enfin la dernière décennie du XIXe siècle voit se dérouler différentes missions qui vont confirmer la souveraineté de la France sur les Terres Australes (Kerguelen, Crozet, St-Paul et Amsterdam). Expéditions scientifiques également en Arctique, d’abord avec Blosseville qui disparaît avec la Lilloise, puis avec Tréhouard et Fabvre partis à sa recherche. Puis de la Roncière avec le Prince Napoléon visite les îles de l’Atlantique Nord jusqu’à Jan Mayen, le Prince de Monaco explore le Spitzberg, le Duc d’Orléans conduit deux expéditions sur la côte Nord-Est du Groenland où il atteint 78°16′ puis au Spitzberg et en Nouvelle Zemble qu’explore peu après Charles Bernard.


Les précurseurs :
Avec le tournant du XXe siècle les expéditions vont se multiplier : tentatives pour atteindre les pôles, pour forcer les passages du Nord-Est et du Nord-Ouest, pour étendre nos connaissances. On modernise les équipements, on développe des techniques nouvelles, les premières motorisations apparaissent. Pour la France, c’est Jean-Baptiste Charcot qui va porter le flambeau. Il organise en Antarctique, dans le secteur de la péninsule, deux campagnes en 1903-1905 avec le Français puis en 1908-1910 avec le Pourquoi-Pas ? Après la Grande Guerre, il multipliera, les missions scientifiques, toujours sur le Pourquoi-Pas ?, dans l’Atlantique Nord et l’Arctique. Il mettra en place, au Groenland, les hivernants de la seconde année polaire, en 1932, au Scoresby Sund, et Paul-Émile Victor et ses compagnons, en 1934, à Ammassalik où ils hiverneront.

En 1936 Paul-Émile Victor traverse le Groenland d’Ouest en Est en traîneau à chiens avec trois compagnons et, tandis que le Pourquoi-Pas ? rapatrie Michel Pérez et Robert Gessain, il part hiverner dans une famille eskimo à Kangerlugssuatsiak à 250 km au Nord d’Ammassalik.


La création des Expéditions Polaires Françaises :
Paul-Émile Victor a terminé la guerre en Alaska dans une unité de l’armée de l’air américaine qui entraînait aux techniques de survie les pilotes risquant d’être obligés d’atterrir dans le Grand Nord et qui s’efforçait de les retrouver et de les récupérer. Dans cette épreuve, il enrichit sa connaissance des régions polaires et découvre les techniques modernes que les besoins du conflit avaient permis de développer. Aux États-Unis il se lia aussi avec André-Frank Liotard.

Il rentre en France en août 1946 et aussitôt annonce sa volonté d’organiser une mission scientifique au Groenland, en mettant en œuvre les techniques nouvelles acquises aux USA. Trois jeunes montagnards, J.-A. Martin, Robert Pommier et Yves Vallette, retour du Spitzberg, vont le pousser à s’intéresser aussi à la Terre-Adélie. Un ambitieux projet d’expéditions scientifiques est prêt à la fin de l’année. Aidé efficacement par André-Frank Liotard qui possède de nombreuses relations politiques, Paul-Émile Victor soumet son projet au Gouvernement que préside Paul Ramadier. Le Conseil l’approuve le 28 février 1947 (voir document). Dans le contexte de l’après-guerre où les préoccupations des gouvernants vont plutôt à la reconstruction d’un pays détruit et à l’approvisionnement d’une population affamée, cette décision semble tenir lieu du miracle mais elle montre à l’évidence que ce gouvernement avait une vision à long terme de l’intérêt de la France.

Sous le nom « Expéditions Polaires Françaises – Missions Paul-Émile Victor », l’opération est rapidement mise sur pieds. Elle est approuvée par le Président de la République, Vincent Auriol (voir document). L’Académie des sciences va prendre en compte le programme scientifique, ce que confirment par lettre ses Secrétaires perpétuels, Louis de Broglie et A. Lacroix (voir document : page 1, page 2, page 3) et mettre en place une Commission scientifique que président Charles Maurain et le R. P. Pierre Lejay. Enfin, en juillet 1947, l’Assemblée Nationale vote les crédits nécessaires aux expéditions vers le Groenland et la Terre Adélie.

Paul-Émile Victor s’est entouré d’un Comité directeur où, à côté d’André-Frank Liotard, siègent ses compagnons d’avant guerre, les docteurs Robert Gessain et Raymond Latarjet, et le géologue Michel Pérez. Et, les décisions pleuvent. Liotard s’occupera de l’Antarctique où on n’a pas d’expérience récente. Lui-même participera, durant l’été 1947-1948, à une campagne sur le John Biscoe avec les Anglais en péninsule antarctique, tandis qu’on enverra Yves Vallette chez les Australiens à Macquarie. Pour le Nord une campagne préparatoire d’une trentaine de membres devrait reconnaître, durant l’été 1948, l’accès de l’inlandsis groenlandais et mettre en place les moyens techniques des campagnes ultérieures. En outre, pour la Terre-Adélie, un navire est acheté et confié à la Marine Nationale qui l’armera. Après passage par un chantier naval de Saint-Malo et l’arsenal de Brest il deviendra le Commandant Charcot. Il partira à l’automne 1948.


Les objectifs scientifiques :
> Dès leur traversée du Groenland, en 1936, Victor, Pérez et Gessain avaient posé les questions fondamentales de la recherche polaire :
> Quelle était l’épaisseur de la calotte glaciaire ?
> Quel était le profil des terres ensevelies sous cette croûte de glace ?
> Comment ce désert glacé s’était-il formé ?
> Quel en était le régime ?
> Quelle influence exerçait-il sur l’Atlantique nord et les terres environnantes ?
> L’anticyclone prévu par Hobbs existait-il ?

Ces différents points sont repris dans le projet soumis au Gouvernement. Paul-Émile Victor avait ainsi défini les objectifs scientifiques que ses missions se proposaient d’atteindre :

> Physique du globe (tectonique, gravimétrie, magnétisme, etc.),
> Météorologie (conditions météorologiques, sondages de l’atmosphère, sondages goniométriques d’atmosphériques, etc.),
> Étude de l’atmosphère (ionosphère, stratosphère, optique atmosphérique, ozone, électricité atmosphérique, rayons cosmiques, etc.),
> Pédologie, géologie, glaciologie,
> Biologie (faune aérienne, terrestre et maritime, physiologie humaine, alimentation, protection contre le froid, etc.)
> Anthropologie, ethnologie, archéologie,
> Techniques (comportement du matériel au froid, adaptation humaine aux conditions, vêtements, rations, applications de l’aviation aux recherches scientifiques, etc.).

Et ce programme ambitieux mais presque encore d’actualité figure dans un document de février 1947 !

Les premières campagnes au Groenland :
L’autorisation du gouvernement danois de conduire une expédition au Groenland fut obtenue en mai 1947.
Le programme des expéditions au Groenland prévoyait la réalisation de plusieurs campagnes d’été faites de déplacements motorisés en véhicules à chenilles sur l’inlandsis, dans la partie centrale du Groenland et l’établissement d’une station d’hivernage (dite station centrale) devant fonctionner deux ans. Un support aérien avec largages de matériels à partir de l’Islande complétait la logistique au sol. Les principales recherches projetées concernaient la géodésie, la glaciologie, la gravimétrie, la météorologie et la physique de l’atmosphère.


La campagne d’été de 1948 :
Cette campagne d’été fut précédée d’une campagne préparatoire de cinq mois consacrée essentiellement à apporter le matériel à pied d’œuvre.
Le 14 mai 1948, vingt huit hommes et 110 tonnes de matériel embarquaient à Rouen sur le navire norvégien Force. Arrivé au Groenland, Paul-Émile Victor choisit le fjord situé devant le glacier Eqip Sermia par 69°46’N et 50°15’O comme point de départ de l’expédition. La difficulté majeure consistait à monter le matériel en escaladant le rebord côtier dont le terrain s’avéra très irrégulier et abrupt. Pour faire passer les véhicules il fallut construire une « route » et un téléphérique. Plusieurs camps intermédiaires furent nécessaires pour cet énorme travail qui n’avait jamais été réalisé dans le passé.
Le 9 juillet, l’inlandsis fut atteint (Camp III). Plusieurs reconnaissances furent effectuées en vue de parvenir plus avant sur la calotte glaciaire proprement dite, mais la fonte d’été créant d’énormes « bédières » et rendant le terrain impraticable empêchèrent d’aller plus avant. Le matériel fut stocké et le retour en France se fit sur le Brandel qui arriva à Rouen le 13 août 1948.


La campagne d’été de 1949 :
Les objectifs de cette campagne étaient avant tout d’établir la station centrale tout en effectuant des observations scientifiques le long du parcours, et de mener quelques études de sciences naturelles dans la zone côtière.
L’expédition comprenait trente cinq hommes et 140 tonnes de matériel et était appuyée par un support aérien (dépendant de la SATI de Roger Loubry). Le transport entre la France et le Groenland fut assuré par le navire norvégien Fjelberg, qui appareilla le 13 avril 1949.
En raison de l’état des glaces, sept tentatives furent nécessaires pour atteindre l’inlandsis (27 mai). Des convois partirent le 1er juin du dépôt du Camp III. Le travail fut réparti en plusieurs groupes, dont le but majeur était d’apporter le matériel nécessaire à l’établissement de la station d’hivernage. Le premier convoi atteignit le 17 juillet le site choisi par 70°N et 40°O, emplacement où avait hiverné avant la guerre l’équipe de Wegener. Treize vols de parachutage et de largage complétèrent le transport terrestre. Huit hommes furent laissés pour hiverner. Le 14 septembre 1949 l’évacuation du Groenland se fit sur le Président Houduce, puis, à partir de Saint-Jean de Terre Neuve, sur l’aviso l’Aventure.


L’hivernage 1949-1950 :
L’hivernage se déroula sous la direction de Robert Guillard. Une fois l’installation de la station terminée, les observations météorologiques et les études de physique de l’atmosphère furent assurées avec régularité malgré le fonctionnement défectueux de plusieurs appareils et les difficultés des conditions de vie, en particulier la monotonie de l’alimentation. Du 15 mai au 15 juin 1950, les hivernants procédèrent à la remise en état de la station. Deux missions aériennes d’approvisionnement en matériel s’avérèrent possibles fin juin, mais deux autres vols ne purent atteindre la station. En même temps, le 30 juin 1950, arriva à la Station Centrale le premier groupe de campagne d’été. La relève d’hivernage se fit le 21 juillet.


La campagne d’été de 1950 :
Les objectifs de cette campagne consistaient à intensifier les observations scientifiques et à évacuer le premier groupe d’hivernage en le remplaçant par un autre.
L’expédition comprenait trente-neuf membres dont neuf pour le futur hivernage (auquel il faut ajouter les huit hivernants de 1949-50). Les nouveaux participants embarquèrent avec 160 tonnes de matériel sur l’Hillevaag le 13 avril 1950. Le navire, après avoir doublé le cap Farvel, rompit son hélice sur un amas de glaces flottantes. Il fallut le remorquer et le remplacer à partir d’Ivigut par le Force.
Les travaux scientifiques commencèrent le 8 juin. Ils comprenaient, entre autre, un forage profond au Camp VI. L’expédition se divisa en deux groupes, le groupe A se rendant à la Station Centrale et le groupe B étant chargé de transports intermédiaires. Parallèlement se déroulaient différentes mesures de gravimétrie, de physique de l’atmosphère, de géodésie et de sismique. A la date du 12 juillet, le programme prévu étant réalisé, il fut possible d’étendre les observations en prolongeant les itinéraires vers le SE et le NE et d’atteindre la côte orientale. L’expédition quitta le Groenland le 6 octobre 1950 sur le Polarbjörn.


L’hivernage de 1950-51 :
Cet hivernage de neuf hommes se déroula sous la direction de Paul Voguet. La station fut agrandie et améliorée, notamment en ce qui concernait les aménagements extérieurs. Les travaux et observations scientifiques se déroulèrent sans discontinuer tout au long de l’hivernage, en particulier les mesures de météorologie. Différents ravitaillements aériens furent possibles au printemps. La station fut fermée le 20 août. Quelques temps auparavant, le 1er mai 1951, un groupe de quatre hommes avait quitté la station pour la côte Ouest avec deux weasels afin de préparer la campagne d’été de 1951.


La campagne d’été 1951 :
Les objectifs de cette campagne étaient la continuité et l’intensification des travaux scientifiques et le rapatriement des neuf hommes d’hivernage. L’expédition, comprenant vingt-deux membres sous la direction de Gaston Rouillon, quitta Rouen le 22 avril 1951 sur le Skallabjörn. Le 25 mai elle était au Camp I et le 3 juin elle atteignait l’inlandsis au Camp VI. Quatre groupes furent formés :
> deux groupes devaient effectuer des sondages sismiques, le groupe bleu et le groupe rouge, sur des parcours différents,
> un groupe se consacrait aux mesures gravimétriques,
> un groupe était chargé des transports.

Au groupe bleu échut l’itinéraire le plus Sud. Au voisinage du Mont Forel, un weasel tomba dans une crevasse, causant la mort d’Alain Joset et du Danois Jens Jarl. L’US Air Rescue participa aux secours en parachutant du matériel sur le lieu de l’accident et il fut possible d’explorer la crevasse, mais les deux corps ne purent être remontés. Pendant ce temps, le groupe rouge faisait route vers l’Est et rejoignait la Station Centrale. Les deux autres groupes effectuaient leur travail ; en particulier, le groupe de gravimétrie atteignait à l’Est le Cecilia Nunatak. De nombreux largages aériens de matériels et d’essence permirent ces importants déplacements. L’expédition quitta le Groenland le 26 septembre 1951 à bord du Polar Star.


Les campagnes d’été 1952 et 1953 :
Durant ces deux années, les E.P.F. envoyèrent au Groenland des équipes restreintes de quatre et cinq hommes pour récupérer du matériel et effectuer différents travaux scientifiques dont la continuité des mesures paraissait utile. L’ensemble de ces différentes campagnes d’été au Groenland représente environ 10 000 km d’itinéraire parcourus, soit 95 000 km pour la totalité des véhicules. La démonstration des possibilités d’une logistique moderne en matière de recherche polaire mobile était faite par les E.P.F. qui avaient réalisé une première dans le domaine.


Les premières campagnes en Terre-Adélie
La campagne 1948-49 :
Le Commandant Charcot, commandé par le Capitaine de frégate Max Douguet, transportait, sous la direction d’André-Frank Liotard, treize civils dont une partie devait créer une station en Terre-Adélie et y hiverner. Par suite d’une avarie de machine, le navire n’appareilla que le 26 novembre 1948 avec deux mois de retard. Il atteignit la banquise le 11 février 1949, puis se heurta à un pack épais par 66°15’S et dut faire demi-tour le 25 février. Quelques observations furent faites au retour. Le matériel et les trente-cinq chiens de l’expédition furent laissés en Australie et le 11 juin 1949 le Commandant Charcot touchait Brest.

 

L’expédition de 1949-1951. Le premier hivernage à Port-Martin :
L’expédition (quinze hommes dont douze hivernants et 150 tonnes de matériel) embarqua le 20 septembre 1949 à Brest sur le Commandant Charcot toujours commandé par le Capitaine de Frégate Max Douguet. Le 21 octobre, l’un des promoteurs de cette expédition, J.A. Martin, décédait subitement au large de la côte d’Afrique du Sud ; il fut inhumé à Capetown. Après avoir récupéré les chiens, les 100 tonnes de matériel et deux weasels en Australie, le Commandant Charcot fit route vers la Terre-Adélie. Le 29 décembre 1949, il rencontrait le pack. Grâce aux informations fournies par les vols du petit hydravion qu’il transportait, il put franchir la barrière de glace et le 15 janvier il était en vue de la côte de Terre-Adélie dans la zone parcourue en 1840 par Dumont d’Urville. Après différents repérages de sites de débarquement, le choix définitif se fit le 20 janvier sur un emplacement rocheux situé par 69°49’S et 141°24’E. Le 2 février la totalité du matériel était à terre et le navire quittait la Terre-Adélie le 8 février 1950. La base reçut, en souvenir du membre de l’expédition décédé en route, le nom de Port-Martin.
L’hivernage des onze membres de l’expédition, sous la direction d’André-Frank Liotard, commença par la construction d’un ensemble de baraquements en forme de croix mesurant 16 mètres sur 4,5 mètres. Il comprenait une salle commune, une cuisine, un dortoir, un laboratoire et, en prolongement, un atelier. Un abri-refuge fut construit à proximité.

Les mesures de météorologie commencèrent dès la mi-février. Des observations scientifiques, marégraphie, cartographie, étude de la faune et de la flore, furent effectuées régulièrement. Des raids en traîneaux à chiens et en véhicules chenillés se déroulèrent tant sur la glace de mer que sur le Plateau antarctique. En particulier, l’un d’eux eût lieu à Pointe-Géologie dans la région où Dumont d’Urville avait pris possession de la Terre-Adélie. On y découvrit, dans un cadre magnifique, une importante rookerie de manchots empereurs (la cinquième connue). Un autre raid poussa vers cap Denison où on retrouva la base établie en 1911 par l’Australien Douglas Mawson. Le 6 janvier le Commandant Charcot mouillait devant Port-Martin et déposait les membres et le matériel de la deuxième expédition en Terre-Adélie. Le navire quittait la Terre-Adélie le 5 février 1951.


L’expédition en Terre-Adélie 1951-52. Le second hivernage à Port-Martin :
La seconde expédition avait pour but de mener à bien un vaste programme de recherches scientifiques et de continuer l’exploration de la Terre-Adélie.
Elle comprenait dix-sept membres sous la direction du Lieutenant de vaisseau Michel Barré, assisté du Lieutenant de vaisseau Bertrand Imbert. Deux de l’expédition précédente, Georges Schwartz et François Tabuteau avaient décidé de rester à Port-Martin pour un deuxième hivernage. La nouvelle équipe embarqua le 30 octobre à Brest sur le Commandant Charcot commandé par le Capitaine de vaisseau Max Douguet. Le pack, peu important cette année-là, fut franchi sans difficulté et le débarquement fut effectué entre le 10 et le 27 janvier 1951. Le 5 février le navire quittait la Terre-Adélie. De nouvelles constructions furent ajoutées à la base existante. Un petit bateau, le Skodern, effectua sept sorties hydrographiques durant la fin de l’été, mais le 17 mars, recouvert par la glace (embruns gelés et dépôts de blizzard), il coula. La nouvelle expédition disposait de trois weasels et toujours de la meute de chiens de traîneaux ce qui lui permit d’effectuer un nombre de raids importants (plus de 3 000 km) vers Pointe-Géologie, cap-Pépin, cap-Denison et, par l’intérieur du plateau, vers la frontière Ouest de la Terre-Adélie. Ces raids permirent un certain nombre de levers géodésiques et cartographiques, ainsi que des observations sur les manchots empereurs. Pendant ce temps des mesures de météorologie, de magnétisme, de glaciologie et de marégraphie étaient systématiquement menées. Le programme scientifique (magnétisme, optique de l’atmosphère, sismologie, sondages ionosphériques, géodésie) fut entièrement exécuté.
Le 14 janvier 1952 le navire norvégien Tottan affrété par les E.P.F. débarquait la relève d’hivernage de Port-Martin conduite par René Garcia, puis se rendait à Pointe-Géologie pour y déposer quatre hommes qui devaient établir une petite base chargée essentiellement de l’étude des manchots empereurs.Au cours de la nuit du 23 au 24 janvier 1952, à 3 heures 20 du matin, un incendie se déclarait à Port-Martin et, en moins d’une demi-heure, attisé par un fort vent, détruisait la station. Les membres de la deuxième expédition qui venaient d’hiverner et ceux de la relève, rembarquèrent le soir même sur le Tottan.


L’expédition en Terre-Adélie 1952-1953. L’hivernage à Pointe-Géologie :
Les membres de l’expédition prévus pour l’hivernage à Pointe-Géologie avaient commencé à s’installer lorsque le 25 janvier 1952 le Tottan se présenta pour les rapatrier, les responsables considérant que ce petit groupe de quatre hommes, sous la direction de Mario Marret, se trouverait trop isolé, privé du support de Port-Martin envisagé dans le projet d’origine. Or ce n’était pas l’avis de cette équipe qui était bien décidée à accomplir l’hivernage prévu, quelles que soient les conditions. Au contraire même, parmi les membres de la relève, les demandes de rester à Pointe-Géologie furent nombreuses. En définitive, trois autres hommes, dont un observateur australien, Robert Dovers, furent acceptés, portant le nombre des hivernants à sept. Toutefois, l’expédition avait été conçue pour trois ou quatre hommes et la baraque préfabriquée ne mesurait que 5 mètres sur 4. On débarqua du Tottan, non seulement les matériaux pouvant servir à améliorer la future station (planches, outils, vivres, matériels divers), mais aussi trente chiens dont l’emploi n’était pas prévu, en particulier au voisinage de la rookerie d’empereurs.

Le Tottan quitta la Terre-Adélie le 20 janvier 1952. Les sept hommes s’employèrent activement à construire la station sur l’île des Pétrels et, évidemment, à agrandir le bâtiment primitif en utilisant toutes sortes de matériaux, y compris les planchettes des caisses de vivres et d’équipements. A la mi-février 1952, les membres de l’expédition quittaient leurs tentes et s’installaient dans le bâtiment qu’ils avaient construit. Les liaisons radio devaient à l’origine être assurées à travers Port-Martin qui ferait le relais mais étaient impossibles directement avec le petit émetteur disponible à Pointe-Géologie. Mario Marret bricola alors un émetteur plus puissant et, après des semaines de silence, la liaison fut établie avec la France, via Nouméa. Malgré les moyens réduits dont disposait l’équipe, différents travaux scientifiques purent être conduits durant l’hivernage, mesures de météorologie, études de la glace de mer, marégraphie, physiologie humaine et surtout observation des manchots empereurs et des autres oiseaux de l’archipel. L’expédition décida en outre d’effectuer des raids. En juin 1952, fut lancé un raid plein Nord en traîneaux à chiens sur la glace de mer pour effectuer une reconnaissance vers la mer libre et comprendre ainsi comment les Empereurs se ravitaillaient au cœur de l’hiver. Par ailleurs, le 21 juin un weasel partit pour Port-Martin pour une récupération de vivres et de matériel et ramener un second weasel. Bien que la distance séparant les deux bases fut de 70 km, ce voyage dura plus de cinq semaines. En août, alors que se déroulaient des observations sur la glace de mer amenant deux hommes à effectuer des séjours de trois à quatre jours, au large, hors de la base, une forte tempête entraîna une débâcle complète de la glace de mer, celle-ci se reformant du reste peu de jours après. Heureusement les deux glaciologues étaient par hasard à ce moment-là revenus se ravitailler à la station, mais la leçon porta. Aussi fut-il décidé qu’aucun raid ne se ferait plus sur la glace de mer, quelles que soient les facilités offertes par ce type de déplacement.

Le grand projet depuis trois ans était de terminer la cartographie de Terre-Adélie. Les expéditions précédentes n’avaient pas atteint la côte à l’extrémité occidentale du territoire. Début octobre, une première reconnaissance eut lieu avec les chiens pour trouver une voie d’accès au Plateau dans le glacier de l’Astrolabe. Le 7 novembre, un groupe de quatre hommes, deux weasels et onze chiens, quitta la base pour se rendre au Rocher X par l’intérieur. Ce nunatak fut atteint après un mois de voyage. Puis la côte avoisinante fut cartographiée, le point astronomique du Rocher X réalisé et une exploration du glacier Z (glacier du Pourquoi Pas ?) faite grâce aux traîneaux à chiens. Le 14 janvier 1953, la base était fermée et le Tottan quittait Pointe-Géologie ayant à son bord les sept hivernants.

Cette première série de campagnes avait permis la réoccupation par la France de la Terre-Adélie. Elle avait reconnu ses limites et en avait établi une première cartographie. De nombreuses observations scientifiques, en météorologie, en géophysique, en biologie, montraient tout l’intérêt des recherches polaires et ouvraient la voie aux futures missions.

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2. Les premiers grands programmes scientifiques internationaux

Les précurseurs : les Années Polaires :

L’observation isolée de phénomènes naturels ne conduit pas à une vision globale de l’environnement. Seul un travail coordonné sur une large couverture terrestre peut faire progresser la connaissance. C’est dans les domaines de la météorologie et du magnétisme terrestre que cette nécessité s’est d’abord fait sentir au cours du XIXe siècle. Or si les observatoires se sont assez rapidement développés aux latitudes moyennes et même sous les tropiques, le plus grand vide a longtemps été le lot des régions polaires. Deux initiatives vont chercher à coordonner sur un plan multinational les observatoires et provoquer leur extension vers les hautes latitudes. Ce sont les Années Polaires.

La première année polaire a été proposée, en septembre 1875, par Karl Weyprecht, le découvreur de la Terre de François Joseph. Il souhaite que la concurrence géographique entre puissances fasse place à une collaboration scientifique. Il faudra attendre le congrès international de météorologie de Rome, en avril 1879, pour que onze pays acceptent de participer au projet en créant des stations polaires dont deux seulement dans l’hémisphère sud (Allemagne en Géorgie du Sud et France). Sa phase active se déroula du 1er août 1882 au 1er septembre 1883. La France envoya l’aviso la Romanche, commandé par le capitaine de frégate Martial, en Terre de Feu, dans la baie Orange (entre Cap Horn et Canal de Beagle). Une station fut édifiée où hivernèrent une trentaine d’hommes sous la direction du lieutenant de vaisseau Courcelle-Seneuil. Le programme scientifique international portait sur le magnétisme, la météorologie et l’observation du passage de Vénus devant le Soleil le 6 décembre 1882. Il a été complété par des travaux portant sur la géologie, la botanique et la zoologie, pendant qu’à bord de la Romanche étaient conduites des mesures hydrographiques et océanographiques ainsi que des observation anthropologiques sur les fuégiens. C’est au retour que fut reconnue, dans l’Atlantique, la Fosse de la Romanche profonde de 7 370 m par 20° O sous l’équateur.

La seconde année polaire fut programmée cinquante ans après, en 1932-1933, dans le même esprit de coopération internationale. C’est encore l’Organisation Météorologique Internationale qui, à Londres, en juin 1928 lança l’opération et l’approuva à Copenhague en septembre 1929 en demandant que soient renforcés les réseaux existants d’observations météorologiques, magnétiques et des aurores et qu’ils soient prolongés vers les régions polaires. La France y participa avec des missions dans l’hémisphère nord à Tamanrasset et Bangui et, pour ce qui nous intéresse, au Groenland. Le lieutenant de vaisseau Jean (Yann) Habert fut le chef d’une mission qui, sur les conseils du commandant Charcot, s’établit au Scoresby Sund. L’équipe de quinze personnes comprenait, outre des marins chargés de la logistique, le lieutenant de vaisseau Max Douguet (cartographie, radioélectricité), l’enseigne de vaisseau Auzanneau (météorologie) et trois civils, Alexandre Dauvillier (aurores, rayons cosmiques, physique de l’atmosphère), Jean-Pierre Rothé (magnétisme, géologie) et Paul Tcherniakovsky [Tchernia] (biologie).

En 1932, le Pollux transporta de France au Groenland le personnel de l’expédition et 280 tonnes de matériel. LePourquoi Pas ?, de son côté, sous la responsabilité de Charcot, apportait 70 tonnes.

L’hivernage se déroula au fond de la baie de Rosenvinje où avait été construite, l’été précédent, une partie des bâtiments (station basse, principale, et station haute située à 313 mètres d’altitude et à 3,7 km à vol d’oiseau de la station basse). Les travaux de recherche menés pendant cette période concernaient le magnétisme, les courants telluriques, les aurores, les transmissions radioélectriques, l’électricité atmosphérique, la météorologie, l’hydrologie, la géologie, la biologie animale et végétale et la pathologie des Esquimaux.

Le 16 août 1933, sur le Pollux l’expédition quittait le Scoresby Sund. Cette mission représente le premier hivernage polaire français à terre en Arctique. Outre les données scientifiques, elle a permis d’acquérir des connaissances techniques pour ce type d’expédition.

 

L’année géophysique internationale.

Cadre général :

La reprise de l’activité scientifique civile après la fin de la guerre rend plus sensible la nécessité de globaliser les observations dans le domaine des sciences de la Terre. Sous l’impulsion de deux physiciens de la haute atmosphère, Sydney Chapman et Marcel Nicollet, le Conseil International des Unions Scientifiques (ICSU) décide d’une période de coopération internationale d’observations scientifiques coordonnées et est suivie dans cette voie par les Académies des Sciences des principales puissances. L’Année Géophysique Internationale est décidée en octobre 1952 par l’ICSU. Elle ne sera pas simplement une troisième Année Polaire mais concernera toute la planète. Elle se déroulera officiellement du 1er juillet 1957 au 31 décembre 1958, période choisie à l’avance de façon à observer les effets du Soleil à son maximum d’activité.

L’AGI bénéficie d’un démarrage spectaculaire avec le lancement par l’Union Soviétique le 4 octobre 1957 de Spoutnik 1 et le 3 novembre d’un nouveau satellite emportant la chienne Laïka puis, le 31 janvier 1958, par les USA d’Explorer 1 marquant ainsi le début de l’ère spatiale et justifiant pleinement la symbolique de son logo. Au total trois satellites soviétiques et quatre américains seront lancés durant l’AGI.

L’AGI se veut globale et, nous l’avons vu, pas seulement polaire mais il n’en reste pas moins que l’effort principal est concentré sur l’Antarctique : 12 pays (Argentine, Australie, Belgique, Chili, France, Japon, Norvège, Nouvelle Zélande, Royaume Uni, URSS, USA) vont y installer 48 stations dont 4 à l’intérieur du continent (voir cartes).

Les principaux objectifs consistaient à étudier le déroulement détaillé des phénomènes solaires actifs, (notamment les éruptions) et les liens de cause à effet entre ces phénomènes et des phénomènes terrestres, géomagnétisme, distribution des couches ionosphériques, aurores polaires, etc., d’où le choix pour l’AGI d’une période de maximum d’activité du soleil. En fait, l’AGI déborda largement ce cadre des relations Soleil-Terre et même celui de la géophysique.

 

La participation française à l’AGI :

En 1953, l’Académie des Sciences crée un comité national de l’Année Géophysique sous la présidence du R.P. Lejay. Une autorisation de programme couvrant sept années de budget (1953-1960), dont la moitié pour la Terre-Adélie, est accordée par le Gouvernement. Paul-Émile Victor est nommé président du Sous-Comité Antarctique et une convention est passée avec les E.P.F. pour un support administratif et financier et le prêt de quelques équipements, tandis que Bertrand Imbert, qui a hiverné à Port-Martin en 1951, est désigné pour diriger l’ensemble de l’opération.

Sous le nom d’Expéditions Antarctiques Françaises de l’Année Géophysique Internationale (EAAGI), trois hivernages sont programmés, l’un préparatoire, en 1956, créera l’infrastructure, les deux autres en 1957 et 1958 couvriront la période proprement dite de l’AGI.

On utilisera un remorqueur polaire norvégien le Norsel (Commandant Guttorn Jackobsen) de 600 t, 45 m de long sur 9 m de large, ayant un tirant d’eau de 4,75 m, et propulsé par un moteur diesel de 1 200 CV. Le navire effectuera quatre voyages en transportant au total 1000 tonnes de matériel et soixante hivernants.

 

La campagne 1955-1957 dite S1 :

Arrivée en Terre-Adélie le 1er janvier 1956, cette campagne préparatoire comporte 14 hommes et est dirigée par Robert Guillard qui fut le premier chef d’hivernage en 1949-50 au Groenland. Sa mission principale est donc la construction des deux bases prévues par la France pour l’AGI. La principale, en bordure du continent, nommée  » Dumont-d’Urville « , est implantée au sommet de l’île des Pétrels (40 m) dans l’archipel de Pointe-Géologie où s’est fait l’hivernage de 1952 et où le climat paraît moins rude qu’à Port-Martin. Elle est achevée en avril 1956. Après une petite extension l’année suivante, elle pourra abriter vingt hommes, les laboratoires et les moyens communs à la vie du groupe. L’autre,  » Charcot « , est un petit laboratoire d’altitude dont l’abri principal préfabriqué de 6 m sur 5,5 m est enfoui dans le névé à 320 km au Sud de Dumont-d’Urville et à 2400 m d’altitude. Plus de chiens : les transports sont assurés par trois weasels et deux snowcats. Mobilisant sept hommes dont le chef de mission, après plusieurs raids représentant 10 000 km parcourus pour acheminer 40 t de matériel et qui s’étalent d’octobre 1956 à janvier 1957, elle est achevée le 18 janvier 1957. Elle est conçue pour trois hommes.

Dès avril, dans la base principale où s’achèvent les aménagements techniques, les premiers appareillages scientifiques sont installés et les premières observations régulières en météorologie, ionosphère et biologie commencent en mai (voir personnel). Les liaisons radio avec Nouméa deviennent régulières.

Cette première équipe quitte l’Île des Pétrels le 12 février 1957.

 

La campagne 1956-1958 dite S2 :

La seconde expédition dirigée par Bertrand Imbert, le chef de l’ensemble des expéditions antarctiques de l’AGI, arrive en Terre-Adélie le 23 décembre 1956. Elle comprend vingt hommes qui hiverneront à Dumont-d’Urville et trois qui occuperont la station Charcot. Elle apporte deux nouveaux weasels et un hélicoptère Bell qui facilitera les déplacements entre l’île et le continent pendant la campagne d’été.

À Dumont-d’Urville, après l’extension prévue de la baraque principale et l’édification d’un certain nombre d’abris annexes, peut commencer la mise en place des nombreux équipements scientifiques qui devront être opérationnels pendant la période d’observation de l’AGI (1er juillet 1957, 31 décembre 1958). Ce sont principalement un radar sur 73 MHz détectant ce qu’on convient d’appeler aurores radio, les appareils de mesure du magnétisme terrestre (magnétomètre La Cour, magnétographe électronique, barres fluxmètres, mesures absolues), un photomètre, une caméra panoramique et deux spectrographes pour l’étude des aurores, trois sismographes, un marégraphe et un complément d’équipements de la station météo, en particulier, pour la réalisation de radiosondages (voir personnel).

Progressivement, au cours du 1er trimestre, tous les appareillages seront opérationnels et les observations de routine peuvent démarrer bien avant le 1er juillet. Des liaisons radio sont établies avec de nombreuses bases antarctiques permettant de fructueux échanges scientifiques.

Les trois hivernants de Charcot que dirige Jacques Dubois, arrivés fin janvier, vont être isolés du 1er février au 27 novembre 1957. Les premiers mois sont consacrés à creuser dans le névé des couloirs permettant la mise en place des équipements techniques et des appareillages scientifiques qui sont exploités au fur et à mesure de leur installation. Mais les difficultés sont nombreuses et en particulier l’énergie fournie par un aérogénérateur ou par un groupe électrogène fait souvent défaut interrompant les liaisons radio avec Dumont-d’Urville.

Néanmoins les programmes de météorologie, de magnétisme et de glaciologie sont réalisés comme prévu avec un excellent rendement.

Sur le plateau antarctique, les raids reprendront avec le retour du printemps en octobre pour ravitailler la station Charcot, puis rapatrier les premiers hivernants, mais aussi pour établir un profil sismique depuis la côte sur 500 km, soit 160 km au Sud de Charcot et faire des observations glaciologiques.

 

La campagne 1957-1959 dite S3 :

La troisième expédition de l’AGI, arrivée le 7 janvier 1958, comprend également 20 hivernants à Dumont-d’Urville sous la direction de Charles Gaston Rouillon et trois à Charcot avec René Garcia (voir personnel). Après la relève du personnel de S2 entre le 4 et le 7 février 1958, les observations du programme de l’AGI seront poursuivies toute l’année sans défaillance notable. Il s’y ajoutera le rattachement gravimétrique de la Terre-Adélie et les premières mesures d’ozone au sol et en altitude, tandis que le médecin reprendra des observations sur la faune. A Charcot divers matériels nouveaux sont installés mais la plus grande nouveauté est la réalisation de sondages aérologiques en cours d’hivernage et même de radiosondages en décembre.

La campagne commencera et se terminera par des raids destinés à ravitailler Charcot et à compléter le profil sismique de la glace établi l’année précédente par un profil gravimétrique et un profil magnétique prolongé sur 540 km. Au retour, la station Charcot sera définitivement fermée le 9 janvier 1959.

Paul-Émile Victor ayant obtenu du Gouvernement les crédits nécessaires au maintien opérationnel de Dumont-d’Urville, les hivernants de S3 seront relevés par une petite équipe de 12 hommes et pourront quitter l’île des Pétrels le 31 janvier 1959 satisfaits de voir que leurs efforts seront poursuivis.

Malheureusement cette dernière expédition de l’AGI fut endeuillée par la disparition le 7 janvier 1959, à la veille de l’arrivée du navire de relève, du chef météo André Prud’homme.

Outre un bilan scientifique particulièrement flatteur, l’AGI a été exemplaire par la coopération internationale qu’elle a permise et qui débouchera, dès fin 1959, sur le Traité sur l’Antarctique, modèle d’entente entre les peuples en pleine guerre froide.

 

 

L’Expédition Glaciologique Internationale au Groenland 1959-1960 (EGIG 1) :

Si, après la fermeture de la base Marret en janvier 1953, l’AGI a permis aux Expéditions Polaires Françaises de revenir vers le Sud et, comme nous venons de le voir, de s’y maintenir, rien ne permettait d’envisager, après le replis de 1951, une reprise des activités au Groenland. Seules trois opérations modestes ont occupé les six années suivantes. Sous la direction de Robert Guillard, deux campagnes de raids de 5 à 6 personnes ont été conduites au départ de Thulé au profit des Américains en 1952 et 1953 et, après s’être faits parachuter, 4 hommes menés par Jean Dumont ont hiverné sur l’inlandsis en 1957.

Cependant, l’idée de retour au Nord restait bien vivante. En 1954 la commission des neiges et des glaces de l’association internationale d’hydrologie scientifique estima qu’une nouvelle expédition à l’échelle internationale sur l’inlandsis groenlandais était souhaitable. Chercheurs et logisticiens allemands, autrichiens, danois, français et suisses, réunis du 3 au 8 avril 1956 à Grindelwald en Suisse, décidèrent d’une Expédition Glaciologique Internationale au Groenland (EGIG) et constituèrent un Comité de Direction présidé par le professeur Finsterwalder et dont Albert Bauer assura le secrétariat général. Définir, coordonner, contrôler la préparation des programmes scientifiques firent se multiplier les réunions de ce comité : Paris en décembre 1956, Davos en avril 1957, Munich en octobre 1957, Paris en juin 1958, Vienne en octobre 1958, etc. : elles se prolongèrent jusqu’en 1973.

Sous la direction de Paul-Émile Victor, les Expéditions Polaires Françaises furent chargées de l’organisation et de la réalisation du programme opérationnel. Le programme était ambitieux, la logistique particulièrement lourde. Fidèle aux principes déjà expérimentés de 1948 à 1951 Paul-Émile Victor mécanisa au maximum les opérations : au sol utilisation exclusive de véhicules chenillés tirant traîneaux et caravanes, mise en place du personnel depuis l’Europe par avion en utilisant la base américaine de BW8 (Søndre Strømfjord) et sur le terrain par hélicoptère, dispatching du matériel d’abord transporté à pied d’œuvre par navire, par largage et parachutage. Pour cela il obtint le concours de l’Armée de l’Air française qui mit en œuvre des Nord 2501 et des Alouette II. Un  » Igloo  » préfabriqué en stratifié verre résine abritera les 6 hivernants.

La préparation des campagnes fut complétée par des missions aéroportées de reconnaissance au cours des étés 1957 et 1958.

 

Campagne logistique de 1958 :

Elle a pour objectif de transporter à pied d’œuvre l’essentiel du matériel destiné à la campagne d’été 1959 et à l’hivernage 1959-1960. Sous la conduite de Robert Guillard, cinq membres des EPF vont le suivre de bout en bout. Partis du Havre le 16 octobre 1958 sur le navire danois Blikur, 1500 m3 de matériel sont débarqués à Søndre Strømfjord à partir du 27. De là, ils seront transportés à 15 km, sur la base BW8 de l’US Air Force pour y être stockés tout l’hiver.

4614 caisses ou colis, 673 fûts, 14 weasels, 16 traîneaux, 2 barges, 9 caravanes, 1 jeep attendront la fin de l’hiver pour leur mise en place sur les différentes destinations de la première campagne proprement dite de l’EGIG. Il restera environ 15 tonnes,  » l’Igloo « , le matériel radio, certains équipements scientifiques et un prototype de véhicule chenillé, qui seront acheminés au Groenland par avion début 1959. En outre, une fraiseuse à neige débitant 10 m3/h sera parachutée sur le site de l’hivernage pour l’enfouissement de  » l’Igloo  » et le creusement des galeries techniques

Détaillons ce matériel. 2600 caisses, 41 tonnes, rassemblent l’alimentation de la prochaine campagne d’été et de l’hivernage ; 520, le matériel de parachutage ; 380, la maintenance mécanique ; 160, le matériel scientifique ; 100, le matériel électrique ; 60, l’aménagement intérieur de  » l’Igloo  » ; 50 enfin, l’habillement et les affaires personnelles.

Les weasels, reconditionnés, ont reçu une carrosserie en stratifié et un réchauffeur d’air pour le confort du moteur et des passagers. 7 sont équipés d’un émetteur-récepteur BLU permettant des liaisons jusqu’à 800 km. Ils peuvent porter 500 kg et tirer 2 t.

Les caravanes placées sur des traîneaux remplacent avantageusement les tentes pour le logement et les laboratoires. Chacune peut héberger six hommes.

Pour l’hivernage, l’énergie sera fournie par une éolienne de 6 m de diamètre d’une puissance de 4,5 kW et pouvant fournir en moyenne journalière, compte tenu des vents, 25 kWh. Un groupe électrogène, également de 4,5 kW, servira d’appoint et de secours. Ces sources d’énergie chargeront une batterie de 470 Ah alimentant les installations de la base en 110 V continu.

47 fûts sont remplis de kérosène pour le chauffage et les autres d’essence pour les véhicules. Ils seront largués par les Nord 2501 volant en rase-mottes.

 

Les campagnes de l’été 1959 :

Un premier groupe de 19 techniciens, sous la direction de Robert Guillard, arrive par avion à BW8 courant mars 1959. Il reprend en charge le matériel stocké à l’automne et prépare un raid lourd, regroupant tous les véhicules, les caravanes et les traîneaux. Il quitte BW8 le 30 mars pour le point Jonction (carte EGIG1) qui est atteint le 24 avril, après d’énormes difficultés liées au manque d’enneigement pour traverser la moraine d’accès à l’inlandsis.

Les 23 scientifiques, avec Paul-Émile Victor, arrivent à Søndre Strømfjord le 10 avril et rejoignent le convoi par hélicoptère, à mi-distance entre BW8 et Jonction, le 20. Tous rejoignent alors le Camp VI le 1er mai, d’où les différents groupes éclateront vers leurs missions particulières en suivant des itinéraires communs (carte EGIG1) après avoir réceptionné les parachutages de matériel et de consommable. Ils sont au nombre de 12, chacun comptant entre 4 et 10 membres. Cinq groupes techniques : le P.C. avec P.-E. Victor ; deux groupes de transport, Nord et Est ; un groupe hélicoptères ; un radio à BW8 pour les liaisons avec la France. Sept groupes scientifiques : géodésie sur l’inlandsis et géodésie côtière ; géophysique ; nivellement ; glaciologie sur l’inlandsis et glaciologie côtière ; hydrologie.

Tandis que les groupes scientifiques poursuivent leurs missions et récoltent une considérable moisson de résultats, le groupe de transport Est, après avoir réoccupé au passage la Station Centrale des hivernages 1950 et 1951, atteint le secteur où sera implanté  » l’Igloo « . Il réceptionnera les parachutages et largages de matériel et engagera les travaux de construction. C’est au cours de ces opérations que la rencontre avec un ours polaire égaré à plus de 300 km de la côte, faillit être dramatique (récit de la victime).

La conception d’une station d’hivernage a beaucoup évolué depuis 1950. Le bois, qui brûle, comme à Port-Martin (!), est abandonné au profit de matériaux modernes aussi légers et plus résistants, les sandwichs de stratifié verre-résine et mousse (klégécell) épais de 6 cm. L’abri principal de l’EGIG, préfabriqué dans ce matériau, est de forme cylindro-sphèrique (l’Igloo) de 6,60 m de diamètre et de 5,80 m de haut. Il reposera sur un radier en bois et sera enfoui dans le névé, solution avantageuse pour se soustraire aux effets des vents forts régnant sur l’inlandsis : refroidissement et formation de congères. Le tout pèse 4,3 t pour 30 m3 en colis d’un poids moyen de 50 kg facilement manipulables. L’Igloo offre sur deux niveaux 66 m² habitables : en bas les locaux communs, en haut six cabines individuelles, la radio et la météo. Un réseau de 124 m de galeries creusées dans le névé permet d’accéder à des locaux annexes, salle des machines, accumulateurs, laboratoire de glaciologie, aux dépôts de vivres et de carburant, à diverses réserves et … à la sortie. Enfin, en surface, l’éolienne, la tour météo de 11 m et quatre mats pour les antennes radio.

La construction commencée le 27 juin était achevée le 15 août. Un seul incident notable : le 18 juillet un mécanicien dut être opéré d’urgence d’une appendicite dans un local improvisé pour la circonstance. Tout s’est bien passé.

La station a pris le nom de  » Jarl-Joset  » en mémoire des deux membres de la campagne 1951 disparus dans une crevasse. Elle est située par 71°20′ de latitude Nord, 33°55′ de longitude Ouest et 2800 m d’altitude.

Ayant achevé leur travail, les différents groupes rejoignent le bord de l’inlandsis d’où ils sont ramenés à la côte par hélicoptère soit directement à BW8 soit, pour les groupes qui travaillaient au Nord, au Camp I d’où le navire océanographique allemand Gauss ou le navire danois Ole Romer les conduiront à Søndre Strømfjord. Le personnel regagnera l’Europe par avion ; tous seront rentrés le 10 septembre. Véhicules, caravanes et traîneaux sont stockés, pour l’hiver, en bordure de l’inlandsis.

 

L’hivernage 1959-1960 :

Sous la direction de Michel de Lannurien, six hommes – quatre Français, un Suisse et un Allemand – commencent leur hivernage à la station Jarl-Joset le 15 août 1959. Ils démarrent aussitôt un vaste programme d’observations : météorologie (pression, température, humidité, vent, rayonnement, nébulosité, etc.) ; glaciologie (accumulation, cristallographie) ; rhéologie de la glace ; médecine (adaptation, comportement). L’hiver est bien supporté malgré une température moyenne de l’ordre de -35° (jusqu’à -60°) et un vent moyen de 8 m/s (30 km/h).

Le 18 mai 1960 deux Nord 2501 parachutent 4 t de vivre, de matériel et le courrier. Le raid qui doit rapatrier les hivernant, venant du Camp VI arrive le 13 juillet. La station Jarl-Joset est fermée le 28 juillet. Elle est prête pour recevoir un nouvel hivernage mais ne sera jamais réoccupée que pour de courts séjours d’été.

 

La campagne d’été 1960 :

Il convient de rapatrier les hivernants de Jarl-Joset et le matériel ayant servi à l’EGIG et de compléter quelques observations scientifiques. Une équipe de douze hommes sera chargée de ce travail sous la responsabilité de Robert Guillard. Débarquée à BW8 le 11 mai 1960 avec 25 t de matériel d’entretien, deux Alouette II et leurs équipages et une équipe de parachutage, elle est à pied d’œuvre le 16 à Terminus pour dégager véhicules, caravanes et traîneaux, puis gagnera le Camp VI, réceptionnant au passage les parachutages de matériel et de carburant et dégageant les équipements stockés pour l’hiver.

Tous les véhicules, traîneaux et caravanes seront révisés par cinq mécaniciens et regroupés au Camp VI tandis que l’équipe Guillard, comme on l’a vu, récupérera les hivernants de Jarl-Joset. Tout le monde est regroupé le 8 août au Camp VI qui est fermé le 12.

Le convoi de 17 hommes, 15 weasels, 8 caravanes, 7 traîneaux, 1 barge se dirige vers DYE2 (station radar américaine à 80 km au sud de Jonction) d’où tout sera rapatrier à BW8 par 12 vols de C130 de l’US Air Force.

Le matériel est chargé sur le navire norvégien Pallas qui atteindra Le Havre le 9 septembre. Le personnel, embarqué sur un Bréguet 2 Ponts, arrivera au Bourget le 5 septembre.

La première campagne combinée de l’EGIG est terminée. Elle a démontré une parfaite réussite d’un programme ambitieux réalisé dans un contexte international exemplaire.

 

L’Expédition Glaciologique Internationale au Groenland 1967-1968 (EGIG 2) :

On avait prévu de renouveler les opérations scientifiques de l’EGIG après une période de dix ans, délai jugé nécessaire pour que l’évolution des phénomènes étudiés soit suffisamment sensible. La qualité et la précision des acquis de la première campagne incita le comité de direction à raccourcir ce délai à 8 ans. C’est en 1967 que le Groenland retrouvera l’activité qu’il avait connue pour la première partie de L’EGIG. Le comité directeur se réunit à plusieurs reprises au cours de l’année 1965 (à Zurich puis à Innsbruck) pour arrêter le programme scientifique et ébaucher l’organisation des opérations. Il n’y a pas d’hivernage prévu comme pour l’EGIG 1 mais deux grosses campagnes d’été. Les transports aériens sont toujours privilégiés et, en outre, les Expéditions Polaires Françaises font développer un nouveau tracteur chenillé, le HB40  » Castor « , pour renforcer la capacité des transports terrestres. Après des essais concluants qui se déroulent en 1964 et 1965 elles commandent cinq de ces véhicules qui seront opérationnels pour la campagne d’été 1967.

  • Cinq grands chapitres forment le programme scientifique :
    • géodésie (position des balises par triangulation et telluromètre, polygones de déformation, nivellement)
    • géophysique (en particulier mesure de l’épaisseur de la calotte glaciaire par sismique réflexion et par sondages radioélectriques) ;
    • épaisseur des fronts glaciaires (diverses méthodes dont bathymétrie des fjords) ;
    • météorologie (programme classique et bilan thermique) ;
    • glaciologie (rhéologie, nivologie, physico-chimie, sondage thermique et carottage 300m).

 

La campagne d’été logistique de 1966 :

Il s’agit de mettre en place à Søndre Strømfjord le matériel des prochaines campagnes. 328 tonnes, 1700 m3, 7140 colis sont chargés au Havre sur le navire danois Esbern Share du 18 au 20 août. Six hommes, sous l’autorité de Robert Guillard, rejoindront le Groenland par avion et, après avoir stocké et conditionné pour l’hiver l’ensemble des équipements et des colis, ils regagnent la France le 10 septembre.

Ce matériel comprend 5 HB40  » Castor « , 9 weasels, 8 caravanes, 10 traîneaux, 1 Landrover, 2500 caisses de vivres, 1200 fûts de carburants et d’ingrédients divers, 532 balises et 2650 fanions, 170 bouteilles de propane, 320 caisses d’explosifs, des groupes électrogènes, des rechanges en tout genre, le matériel de parachutage, etc.

 

La campagne d’été 1967 :

Plus de navire entre l’Europe et le Groenland et plus de groupes nombreux au départ : les liaisons sont toutes aériennes et les techniciens comme les scientifiques sont progressivement mis en place en fonction de l’avancement de la préparation de la campagne sur le terrain. L’armée de l’air française ( précisément le COTAM) fera les opérations sur l’inlandsis, dépôts de personnel et de matériel avec des Alouette II, parachutages et largages à partir de Nord 2501. La Luftwaffe qui devait renforcer le potentiel français, n’a finalement pas participé aux opérations. L’US Air Force, avec ses C130 Hercules, a pu acheminer de Søndre Strømfjord sur l’inlandsis l’ensemble du matériel apporté à l’automne précédent évitant ainsi d’avoir à franchir, avec des véhicules, la zone marginale particulièrement chaotique cette année.

La campagne débute le 8 mars 1967 par la mise en place à Søndre Strømfjord d’une première équipe de techniciens des EPF qui vont déstocker le matériel et organiser son acheminement vers Dye 2 (carte EGIG2) sur des C130 de l’US Air Force. Cette première équipe sera suivie de sept autres jusqu’au 19 avril, les scientifiques arrivant en deux groupes les 19 et 21 avril. Trois vols de Nord 2501 depuis la France apporteront un complément de matériel dont principalement l’équipement radio de la station de Søndre Strømfjord qui devra coordonner toutes les communications avec les raids, les moyens aériens et la France. Les opérations préparatoires vont se poursuivre jusque fin avril dans un camp provisoire établi à quelques kilomètres de Dye 2 : conditionnement et répartition du matériel, des carburants et des vivres entre les différents raids et les dépôts constitués sur les itinéraires futurs par largage et parachutage, réalisation des infrastructures scientifiques, enfin mise en place des groupes sur leurs bases de départ.

La responsabilité générale des opérations de cette campagne est confiée à Robert Guillard, quant au chef d’expédition, Paul-Émile Victor, il sera présent sur le terrain du 7 au 10 mars, du 11 avril au 5 mai et du 2 au 19 juin. Outre une petite équipe restant à Søndre Strømfjord pour la coordination et la radio, neuf groupes sont constitués : six sont mobiles, un groupe médical, deux groupes de transport, deux de géodésie et un de géophysique et trois sont stationnaires, glaciologie côtière, météorologie et rayonnement à Jarl-Joset et à Carrefour. Les moyens aériens sont répartis en quatre groupes, un groupe hélicoptères, deux détachements du COTAM à quatre équipages et une équipe technique pour les Nord 2501 (deux fois trois appareils) et un groupe de livraison par air (GLA 1) pour la manutention des parachutages et des largages.

Les opérations scientifiques

Elles débutent à la mi-mai et se poursuivent jusqu’à la mi-août.

Le groupe de Géodésie A de Dye 2 a rejoint directement Crête (carte EGIG2) où il a commencé ses travaux qu’il a poursuivis sur le cheminement Jarl-Joset Cecilia Nunatak. Revenu sur ses pas il a continué sur l’axe Station Centrale, Milcent, Carrefour, Camp VI d’où, transporté par hélicoptère, il a entrepris le rattachement de ses mesures à la côte. Revenu à Carrefour il a commencé les travaux sur l’axe Nord-Sud jusqu’à Point Sud.

Le groupe de Géodésie B démarre ses travaux de Station Centrale, exploite le cheminement Milcent, Carrefour, Camp VI où il effectue un rattachement à la côte, puis, revenant sur ses pas, prolongera ses travaux jusqu’à Cecilia Nunatak via Crête et Jarl-Joset.

Ces deux groupes opéraient des mesures d’azimut au théodolite, de distance au telluromètre, et d’altitude par nivellement barométrique. Ils établirent et recontrôlèrent six pentagones de déformation de 14km de diamètre.

Le groupe de Géophysique a stationné trois semaines à Carrefour pour mettre au point son appareillage, en particulier le radar destiné à mesurer l’épaisseur de la glace. L’exploitation de cet instrument impliquait des arrêts tous les 1 à 2 km ce qui ralentit considérablement la progression du groupe sur l’axe Ouest-Est qu’il parcourut jusqu’à Dépôt 420. Le retour comportait un programme de sismique réfraction et réflexion avec de fortes charges entre Station Centrale et Milcent. Ce programme était complété par des mesures de gravimétrie et de magnétisme.

À la suite de la destruction de deux caravanes lors d’une tempête, le groupe de Météorologie/Rayonnement de Carrefour a dû s’installer sous une tente Atwell. Néanmoins le programme s’est déroulé sans incident et était achevé fin juillet.

À Jarl-Joset le groupe de Météorologie a dû attendre la remise en état de l’équipement énergie de l’igloo pour être totalement opérationnel ce qui ne l’a pas empêché d’achever son programme. Il a également réoccupé le puits glaciologique de Dumont et y a conduit les observations prévues.

Débarqué à Jakobshavn le groupe de Glaciologie Côtière opéra, avec l’aide des hélicoptères, à Camp III et Camp IV pour recueillir d’une vingtaine de tonnes de glace des échantillon de CO2 qui seront datés par la méthode du 14C tandis que des échantillons d’eau de fonte permettront d’établir le rapport 18O/16O.

À l’issue de la campagne tous les groupes se retrouvèrent à Carrefour dans la deuxième quinzaine d’août. Les installations furent démontées et, à l’exception de huit hommes qui accompagnèrent un convoi de véhicules à Dye 2, tout le personnel gagna Jakobshavn en hélicoptère puis Søndre Strømfjord par bateau. Les rapatriements sur l’Europe s’étalèrent jusqu’au 28 septembre.

 

La campagne d’été 1968 :

Cette campagne est le prolongement de la campagne de 1967 et elle est bâtie sur les mêmes principes. Les résultats acquis l’année précédente (et les difficultés rencontrées) ont fait quelque peu évoluer les programmes scientifiques, le nivellement et la glaciologie sont privilégiés, mais nous retrouvons sensiblement les mêmes groupes avec un personnel en partie renouvelé.

Le transport aérien est toujours privilégié, mais aux côtés des Nord 2501 du COTAM, des Alouette II de l’Armée de l’Air et des C130 à skis de l’USAF, les EPF feront aussi appel, pour cette campagne, à des transporteurs privés pour du fret au DC4 d’Air Transport entre Paris et Søndre Strømfjord et pour du personnel aux hélicoptères de Greenlandair entre Søndre Strømfjord et Jakobshavn.

La campagne commence le 18 mars par un transport de fret vers le Groenland suivi de l’inspection à Dye 2 du matériel stocké durant l’hiver. Le personnel, techniciens puis scientifiques, est à pied d’œuvre, par petits groupes, courant avril. Le point de rassemblement et de départ des raids est Carrefour qui sera atteint, d’une part, depuis Dye 2 par un convoi de huit hommes et quatre HB40 transportant le matériel nouvellement arrivé, d’autre part, par vols d’Alouette II pour le personnel qui a transité par Jakobshavn.

Les deux groupes de Nivellement, A et B, sont autonomes. Ils vont parcourir l’axe Est-Ouest, d’un bord de l’inlandsis à l’autre, le premier de Camp Sismique à Crête, le second de Crête à Cecilia Nunatak. Dans les zones côtières les opérations sont faites à pied. Aux travaux de nivellement, s’ajoutent des mesures sur les balises de longue durée et le contrôle des polygones de déformation, des liaisons gravimétriques, des mesures magnétiques, des observations météorologiques, etc. Ils sont fin juillet à Crête pour le regroupement de fin de campagne.

Après avoir commencé leurs travaux aux camps III, IV et VI atteints par hélicoptères, les groupes de glaciologie et celui de sondage de température sont mis en place ou déplacés par les groupe de transport. Ils vont parcourir l’axe Ouest-Est jusqu’à Jarl-Joset.

Le groupe GlaciologieNivologieRhéologie, tout le long du parcours, va mesurer l’accumulation, étudier la stratigraphie du névé, prélever des échantillons, déterminer les mouvements accomplis par les balises, etc. Le puits Dumont est réoccupé. Le groupe GlaciologiePhysico-chimie prélève des carottes de glaces (jusqu’à 35m) pour analyses ultérieures en laboratoire. Le groupe Sondage de température travaille à Jarl-Joset où il reprend les observations météorologiques et procède à des sondages de température avec des sondes thermiques Philberth jusqu’à une profondeur de 1 000m.

Des essais peu concluants du Radar glaciologique, aéroporté et au sol, ont eu lieu courant mai. Finalement l’instrument a été rapatrié pour une transformation fondamentale en vue de prochaines expéditions.

Après le regroupement général à Crête, formé en trois convois, personnel et matériel vont gagner Dye 2 où tous seront réunis le 19 août. En 14 vols les C130 de l’USAF vont rapatrier le personnel et 100 t de matériel sur Søndre Strømfjord. Par avion, les hommes regagnent l’Europe par petits groupes jusqu’au 16 septembre. Le matériel est chargé sur le navire danois Hanne Scan qui arrive au Havre le 25 septembre.

 

Le programme EGIG est terminé. Il a permis de rapporter une riche moisson de résultats scientifiques qui occuperont, dans leurs laboratoires, pendant longtemps, de nombreux chercheurs. Il a aussi enrichi l’expérience logistique et technologique des Expéditions Polaires Françaises.

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3. L'observatoire permanent de Dumont-d'Urville et les grandes opérations scientifiques.

Normalement la station Dumont-d’Urville devait fermer en janvier 1959, à la fin de l’Année Géophysique Internationale. In extremis, Paul-Émile Victor obtint l’autorisation et les crédits pour maintenir une activité scientifique en Terre-Adélie. Une mission de 12 membres fut rapidement montée. Elle sera le point de départ d’une occupation permanente qui n’a toujours pas cessé. Dumont-d’Urville, sur l’Île des Pétrels, allait devenir un observatoire permanent pour un certain nombre de disciplines et le support d’opérations scientifiques de grande ampleur qui marquèrent l’histoire des Expéditions Polaires Françaises pour plus de trente ans.

 

Évolution des infrastructures.

En 1959 la station Dumont-d’Urville hérite des installations de l’AGI. Elles comprennent trois baraques métalliques  » Fillod « , deux au sommet de l’île : la base avec chambres, laboratoires (magnétisme, ionosphère, météo, photo), radio, cuisine, office, vie commune, infirmerie, … et la centrale électrique, atelier, réserve ; une près de la côte servant de garage et d’atelier pour les véhicules. Une dizaine d’abris en sandwich de contre-plaqué et de klégécell, répartis sur l’île, abritent des capteurs sensibles (magnétisme, sismologie, ozone, photomètres, radiovent, etc.) ou des installations dangereuses (fabrication d’hydrogène, lancement de ballons, etc.). En outre, demeurent les installations de 1952 dites  » base Marret  » (voir carte de l’île des Pétrels 1959). Ces installations avaient été conçues pour une période limitée aux trois années de l’AGI. Il faut repenser l’ensemble pour en faire une base permanente et adapter le concept aux contraintes de l’environnement, aux capacités logistiques des EPF et aux crédits qu’il faudra rechercher.

 

Les constructions nouvelles devront répondre à un certain nombre de critères : bon isolement sans ponts thermiques, facilité et rapidité de montage impliquant une préfabrication poussée, tenue dans le temps avec le minimum d’entretien, implantation qui évite la formation de congères. Les solutions suivantes sont retenues. Les bâtiments seront constitués de panneaux standards de 16 cm d’épaisseur constitués de deux peaux de stratifié verre-polyester enfermant une mousse de polyuréthanne formant le plancher, le toit et les quatre murs. Ils mesurent 160 sur 240 cm. Légers, ils sont facilement transportables mais particulièrement résistants. Suivant les besoins ils comportent soit une fenêtre fixe ou ouvrante équipée de double vitrage et d’un rideau d’occultation, soit une porte de type réfrigérateur industriel. Les panneaux sont boulonnés à une charpente métallique extérieure par des inclusions dans le sandwich ; l’étanchéité est obtenue par des boudins d’élastomères basse température intercalés entre eux. Le bâtiment repose sur un radier métallique monté sur pilotis. Ainsi éloigné du sol naturel qui n’a donc pas besoin d’être terrassé, il permet à la neige de circuler sans former de congères. Le tout est soigneusement haubané. Seule la nouvelle centrale électrique reposera directement sur une plate-forme compte tenu de la masse des groupes électrogènes qu’elle abritera.

 

La reconstruction commencera en 1963 pour s’achever, tout au moins pour ce premier programme d’aménagement, en 1972. Un gros travail de topographie et de cartographie permettra de conduire les chantiers dans les meilleures conditions possibles. Successivement seront édifiés la centrale électrique, deux bâtiments laboratoires, la  » vie commune  » avec cuisine, boulangerie, office, restaurant, salon bibliothèque discothèque, labos photos, sanitaires, lavabos et buanderie, un bâtiment logement – le seul avec un étage – avec chambres individuelles, enfin la radio et l’agence postale. Tous ces bâtiments, isolés les uns des autres pour limiter la propagation d’un éventuel incendie, sont reliés par des passerelles métalliques sur pilotis qui rendent aisée la circulation sur un terrain chaotique (voir photo de l’île des Pétrels 1980). Les bâtiments métalliques  » Fillod  » ne sont cependant pas abandonnés. Les anciennes baraques de l’AGI sont reconverties en magasin et en atelier tandis que de nouvelles sont édifiées pour abriter des installations techniques (magasin général et garage), des équipements scientifiques lourds (moniteur à neutrons), ou des locaux de campagne d’été (logements de complément). De même, progressivement, les abris scientifiques en contre-plaqué sont remplacés par des bâtiments assemblés de panneaux préfabriqués (lancement de ballons) ou par des  » shelters  » les uns et les autres utilisant des sandwiches verre-polyester et mousse de polyuréthanne. Une cave est creusée dans le gneiss de l’île pour accueillir les sismographes. La nouvelle centrale possède quatre groupes (3×125 kVA et 1×175 kVA) délivrant en moyenne 100 kW en triphasé 220/380V. Cette augmentation de puissance et la qualité de l’énergie délivrée permet un développement des installations scientifiques et une amélioration des conditions de vie.

 

Ainsi en va de l’alimentation en eau douce. Terminée la lessiveuse où fond la neige sur un coin de la cuisinière et aussi les cuves de fonte avec leurs thermoplongeurs. Finies les corvées de neige souvent souillée par les déjections de manchots. A partir de 1968, l’eau douce est produite à partir de l’eau de mer pompée en permanence sous le niveau de la banquise et distillée sous vide relatif en récupérant la chaleur des échappements des groupes électrogènes. La production journalière atteint 3 m3 : de 10 l par homme et par jour pendant l’AGI on est passé à 100 l !

La radio entretient le contact avec le monde extérieur. Deux liaisons avec la métropole sont exploitées : via Nouméa une liaison PTT et via Kerguelen une liaison administrative gérée par les TAAF. Des liaisons inter-antarctique servent principalement aux échanges météo et en été à maintenir le contact avec les raids sur le continent. Longtemps limités à de la télégraphie sur ondes décamétriques les échanges passent progressivement sur télétype. La téléphonie par BLU n’intéresse pendant longtemps que les liaisons locales (raids et navires) avant que des essais concluants mais limités passent par le réseau TAAF. Le satellite (Inmarsat) n’apparaîtra que dans les années 80, apportant confort, sécurité et permanence des liaisons.

La  » vie commune  » dispose d’une cuisine et d’une boulangerie pâtisserie modernes, d’un office où l’eau ne manque plus. Dorénavant, la gastronomie a droit de cité et renvoie au moyen âge de la base le pemmican, les conserves de bœuf assaisonné et la purée en poudre ! Dans cette base moderne, longtemps l’exemple pour tout l’Antarctique, les conditions du travail sont devenues optimales.

 

Modernisation des transports

C’est toujours par voie maritime que l’on atteint la Terre-Adélie mais il faudra attendre 1985 pour que l’on dispose d’un navire polaire national. Après le Norsel norvégien, trop limité en capacité de transport tant pour le matériel que pour le personnel et singulièrement inconfortable, les EPF affrétèrent chez le danois Lauritzen successivement le Magga Dan puis le Thala Dan. Ce dernier vendu aux Brésiliens en 1982, il fallut trouver un remplaçant en catastrophe. Ce fut, pour deux années, le Lady Franklin, canadien, qui ne reste dans les mémoires que par le timbre que lui consacrèrent les TAAF. En 1984 on revint aux norvégiens avec le Polar Bjørn, beaucoup plus petit, mais on put multiplier les rotations entre la Tasmanie et l’Antarctique, les Australiens à qui les EPF sous-affrétaient leur navire étant devenus autonomes. Enfin en 1988 la Fish (Compagnie Nationale de Navigation) nous permit d’affréter français en adaptant à nos besoins un  » supply  » polaire l’Astrolabe.

L’alternative est l’accès aérien. C’est depuis longtemps la solution adoptée par les USA et les Néo-Zélandais entre Christchurch et Mac Murdo, par les Britanniques, les Argentins et les Chiliens pour leurs bases de la péninsule antarctique. C’est la solution que préconisait le groupe de logistique du SCAR (comité scientifique international de recherche antarctique) dès 1975. La France s’engagea dans cette voie. Le projet proposé par les Expéditions Polaires et présenté par le Territoire des TAAF obtint, en 1986, le feu vert et le financement du Gouvernement malgré une campagne de dénigrement sans fondement orchestrée par le lobby écologiste intégriste. En 1992 une piste, à Dumont-d’Urville, était pratiquement achevée mais la volonté d’aboutir, de se battre pour le projet avait disparu : la piste fut abandonnée.

Les transports terrestres n’évoluèrent que très tardivement. Les  » sno-cat « , trop fragiles, furent abandonnés après l’AGI. Sur le plateau antarctique, on travailla avec les seuls weasels auxquels s’ajoutèrent, après l’EGIG II, les HB40 Castors revenus du Groenland ainsi que traîneaux et caravanes. Pour travailler autour de la base, sur l’Île des Pétrels, on adapta les weasels en surnombre qui devinrent engins de chantier. Il fallut attendre la fin des années 80 pour acquérir des tracteurs lourds Caterpillar aux chenilles élargies, qui permirent d’augmenter la capacité de transport sur l’inlandsis.

 

Les observatoires et les programmes scientifiques.

Comprendre la Terre implique d’en mesurer les différents paramètres en de nombreux points d’un réseau pour en avoir une vision globale. Dans ce système les observatoires permanents de l’Antarctique sont irremplaçables car implantés dans un secteur du globe où ils sont particulièrement isolés. Dumont-d’Urville est à 2 700km au sud de l’Australie, et ses proches voisins dans l’Antarctique sont à plus de 1 300 km.

 

Les différentes disciplines d’observation de la Terre et de son environnement présentes pendant l’AGI vont être maintenues. D’autres viendront les rejoindre. Mais c’est surtout l’évolution de l’instrumentation avec les années qui marquera de façon sensible l’histoire scientifique de Dumont-d’Urville.

 

Météorologie

La météorologie a été la justification première de beaucoup d’expéditions lointaines. En Terre-Adélie, les météorologues forment l’équipe la plus nombreuse : elle doit en effet assurer les observations synoptiques trihoraires (pression, température, humidité, vent au sol, visibilité, nébulosité, précipitations, rayonnement, ensoleillement, ..) bien qu’après l’AGI les observations de nuit soient rétablies à partir des enregistrements, et des radiosondages aérologiques quotidiens éventuellement complétés par des sondages de vents. Ils ont à gérer et à entretenir un parc instrumental très important, même si l’informatique a supplanté l’électronique et surtout les électromécanismes d’autrefois. Dans un premier temps, un radar a remplacé théodolite et radio-théodolite pour localiser les ballons des radiosondages avant d’être lui-même devenu obsolète devant les systèmes satellitaires. L’hélium, enfin, a remplacé l’hydrogène !

 

Magnétisme

Autre discipline de base, d’autant plus importante que Dumont-d’Urville est proche du pôle magnétique Sud d’inclinaison, les mesures magnétiques ont été acquises sans interruption depuis 1957. À côté du magnétomètre de référence de tout observatoire magnétique, le La Cour, et des instruments de mesures absolues, sont maintenant exploités des systèmes évolués faisant appel à des phénomènes situés au niveau de l’atome. À côté de ces variations lentes on mesure également les variations rapides (période de quelques dizaines de secondes).

 

Sismologie

Les trois composantes des mouvements sismiques sont suivis depuis 1957. Depuis 1963 les sismographes sont placés dans une cave creusée dans le gneiss de l’île qui les met à l’abri des vibrations dues au vent et permet de les maintenir à température constante. Des enregistrements numériques ont heureusement remplacé les papiers photo des temps héroïques.

 

Physico-chimie de la basse atmosphère

Pratiquées de nombreuses années, les mesures de la radioactivité des aérosols pompés en continu donnent des informations sur les éléments traces et en particulier sur le radon considéré comme un traceur de la circulation atmosphérique. Des échantillons d’air sont régulièrement prélevés pour une analyse ultérieure en laboratoire (concentration en CO2).

 

Physico-chimie de l’atmosphère moyenne

Des mesures de la composition chimique de l’atmosphère moyenne (15 à 50 km) ont été financées tardivement (1984) quand on a commencé à parler du trou d’ozone alors qu’elles faisaient partie des programmes de l’AGI en 1958 mais avec un équipement inadapté aux conditions climatiques. Trois techniques sont employées : mesures continues par spectrophotomètre, sondages laser, mesures in situ par ballon stratosphérique.

 

Rayonnement cosmique

Un moniteur à neutrons à six sections, fonctionne de façon continue depuis l’AGI. Son suivi scientifique est assuré par l’Université de Berne.

 

Ciel nocturne et aurores

Dès que la nuit revient sur Dumont-d’Urville, le regard de chacun scrute le ciel pour apercevoir sa première aurore polaire. L’observatoire ne se contente pas de l’observation visuelle : si les gros spectromètres de l’AGI ont été abandonnés, des photomètres, une caméra plein ciel aident les observateurs dans leur surveillance du ciel polaire.

 

Ionosphère – géophysique externe

Les premiers sondages de l’ionosphère adélienne furent pratiqués à bord du Commandant Charcot en 1949. Au cours du premier hivernage, en 1950, Mario Marret  » bricola  » un appareillage lui permettant de faire quelques sondages. Le premier sondeur fixe a été le prototype du CNET/LNR installé en 1951 à Port-Martin par Jean Bouquin. Ce prototype donnera le SP35/16 qui sera le sondeur de l’AGI, installé dès 1956. Il sera remplacé en 1966 par un équipement suédois le 1005W, lui-même faisant place à un matériel transistorisé français, le R4F en 1986. Depuis 1966 un pylône de 73 m supporte les antennes. Son érection et son haubanage sans pouvoir créer des massifs en béton a été une première technique. L’étude de l’ionosphère a été complétée à partir de 1965 par l’utilisation de riomètres qui déterminent, sur des fréquences discrètes, l’absorption du bruit de fond galactique par les couches ionisées.

 

En 1971 une station de télémesure-télécommande de satellites est installée pour permettre l’exploration de la partie supérieure de l’ionosphère inaccessible depuis sol. Elle exploite les satellites canadiens Alouette 1 puis 2 et les satellites Isis qui opèrent des sondages en  » contre-haut « . Rapidement cette station opérera, pour le CNES, sur de nombreux autres satellites. À partir de cette date, une réorganisation des observatoires et un meilleur emploi des ingénieurs et techniciens hivernants fait place à un observatoire de géophysique externe qui regroupe ionosphère, aurores et ciel nocturne, physico-chimie de l’atmosphère moyenne et rayonnement cosmique. Il gère la station de réception des satellites et assure, pour toutes les disciplines, un service de l’heure à partir d’une horloge de haute précision contrôlée en permanence.

 

Biologie

L’observation systématique des populations animales a été longue à se mettre en place. Après Jean Prévost hivernant en 1952 puis en 1956 pour étudier la colonie de manchots  » Empereurs  » de Pointe Géologie, des programmes ponctuels sont tantôt confiés au médecin de l’expédition, tantôt méritent la présence d’un spécialiste. Puis on alternera écologie-éthologie avec physiologie (études de l’adaptation au froid et au jeûne). Enfin un dénombrement annuel systématique des populations mammifères et aviaires, des sites de nidification fait de Dumont-d’Urville un véritable observatoire du vivant. Parallèlement, les programmes spécifiques se poursuivent et se multiplient avec une forte poussée en biologie marine et ichtyologie.

 

Médecine

Le médecin-chirurgien de chaque expédition a avant tout un rôle de médecine de soins que l’on souhaite le plus léger possible. Il joue également un rôle important dans le cadre de la médecine de prévention en surveillant la santé physique et mentale des hivernants qui doivent s’adapter à des conditions de vie très particulières : environnement hostile, isolement et confinement de longue durée. Des programmes de recherche sur l’adaptation physiologique et comportementale à ces paramètres sont conduits par ces médecins avec la participation des membres des expéditions. On bénéficie, dans cette situation non artificielle, du fait de pouvoir étudier un échantillon humain en conditions quasi expérimentales (sujets homogènes et conditions de vie similaires).

Les grandes opérations scientifiques

Les infrastructures logistiques et scientifiques de Dumont-d’Urville vont permettre de développer des programmes importants dans les domaines les plus divers de la recherche. Tous se déroulent pendant la courte période de la campagne d’été et impliquent souvent un effectif important de techniciens et de chercheurs. Leur mise en œuvre sera à chaque fois un exploit opérationnel.

 

1967 : premiers tirs de fusées-sondes en Antarctique

Nous avons vu l’importance de l’étude de l’ionosphère dans les programmes de recherches polaires de l’AGI. L’activité solaire était alors à son maximum. Il était intéressant, à l’opposé, de reprendre les mêmes études dans un minimum d’activité : ce sera l’Année Internationale du Soleil Calme (AISC). Elle justifie la modernisation des observatoires. En plus, la France décide d’aller voir sur place, c’est-à-dire dans l’ionosphère : ce sont les premiers tirs de fusées-sondes scientifiques de l’Antarctique. En effet, malgré les énormes difficultés prévisibles d’une telle opération, la situation toute particulière de Dumont-d’Urville dans la géométrie de la magnétosphère justifie pleinement cette initiative.

 

Une équipe de jeunes chercheurs et ingénieurs du Groupe de Recherches Ionosphériques que dirige Jean-Jacques Berthelier développe un instrument embarqué qui mesurera la densité et la température électroniques et les flux de particules en fonction de leur énergie et de leur direction d’arrivée. Avec ses équipements scientifiques et de servitude, la  » pointe  » mesure 1,70 m et pèse 100 kg. Le CNES apportera en Terre-Adélie une station mobile de lancements de fusées sondes, en l’occurrence, des  » Dragon « , fusées à poudre à deux étages de Sud-Aviation qui peut atteindre 200 km. Les EPF devront développer les infrastructures logistiques et scientifiques de Dumont-d’Urville, ce que fera la mission TA16 forte de 29 chercheurs, ingénieurs et techniciens, pendant son hivernage en 1966.

 

Quatre tirs eurent lieu les 25, 28 et 29 janvier 1967 avec un total succès.

 

1973 : lancement de ballons-sondes stratosphériques, expérience CITADEL

Un autre paramètre important et mal connu de l’ionosphère est le champ électrique qui y règne. Les mesures au sol sont trop affectées par des effets locaux. Seule solution, faire les observations en altitude sous des ballons plafonnants. Ce sera l’opération CITADEL (Champ dans l’Ionosphère de Terre-Adélie). 15 ballons de 5 000 m3 seront lâchés au cours de la campagne d’été 1972-1973. Les nacelles instrumentalisées ont été conçues et réalisées par le Groupe de Recherches Ionosphériques. Elles permettent la mesure des trois composantes du champ, de connaître l’altitude et l’attitude de la nacelle. Enfin des lests largables télécommandés assurent une longue durée de vol (jusqu’à 48 heures). Là encore les EPF ont montré toute leur ingéniosité et leur maîtrise de l’environnement polaire pour réussir une campagne complexe avec un personnel considérablement réduit (un seul spécialiste du CNES).

 

1978 : un forage atteint 900 m au Dôme C

Dans les années 70, la communauté internationale des glaciologues commence à comprendre la richesse des informations que contiennent les glaces anciennes sur les climats passés. Pour rechercher ces échantillons de glaces il faut forer l’inlandsis. Diverses considérations liées aux conditions d’accumulation, d’écoulement et d’épaisseur de la glace font choisir aux scientifiques français le Dôme C pour tenter un forage profond. L’opération n’est possible que dans la mesure où les Américains mettent à la disposition des équipes françaises leurs moyens aériens (C130 Hercules équipés de skis) pour les conduire à pied d’œuvre. Deux longues campagnes d’été, en 1976-77 et 1977-78, permettront après l’installation d’un camp provisoire de réussir un forage qui atteindra 900 m de profondeur et d’obtenir ainsi des échantillons vieux de 30 000 ans.

 

1981 : expédition biomédicale internationale en Antarctique (IBEA)

Une équipe internationale de douze médecins et physiologistes a participé à un programme pluridisciplinaire d’étude de l’adaptation de l’homme aux contraintes de la vie en raid polaire. Ces volontaires, à la fois observateurs et sujets, ont été testés avant, pendant et après leur participation à un raid sur le plateau antarctique en Terre-Adélie dans le but d’identifier d’éventuelles modifications physiologiques, biologiques, psycho-physiologiques, comportementales, voire cliniques, liées aux conditions de vie extrêmes rencontrées dans ce contexte spécifique et de mettre au point des mesures préventives utiles pour y faire face. Ce raid au cours duquel les participants vivaient sous la tente et se déplaçaient en moto des neiges a alterné camps fixes et déplacements pendant 71 jours sur le terrain. Les résultats ont montré un acclimatement physiologique périphérique et une adaptation comportementale. Ils ont également confirmé l’importance primordiale des possibilités individuelles d’adaptation psychosociales des participants au travail en petit groupe isolé dans un milieu agressif. Cette étude a fait l’objet d’un livre  » Man in the Antarctic  » publié sous la direction de Jean Rivolier.

 

1986 : étude des vents catabatiques (IAGO)

Ce qui retient sans doute le plus l’attention des visiteurs de la Terre-Adélie c’est la brutalité avec laquelle s’établit un vent qui peut atteindre des vitesses considérables. Il a fait trembler les navigateurs au temps de la voile, donné son titre,  » la maison du blizzard « , au récit de son hivernage par Mawson, surpris les météos des premières missions à Port Martin qui ont défini le phénomène de Loewe. Qu’en sait-on dans les années 70 à Dumont-d’Urville ? C’est un vent qui souffle du 170 (S¼SE) et dont la vitesse peut dépasser 80 m/s (près de 300 km/h). Il apparaît comme un écoulement peu épais d’air très froid sur la pente du continent en entraînant la neige de surface et formant ainsi du blizzard. On sait que, par très beau temps, quand on observe un  » mur de blizzard  » vers le Sud sur le plateau, dans peu de temps la tempête se déchaînera sur la base. Enfin, ce vent s’amortit rapidement quand on s’éloigne en mer. Ce phénomène mérite une étude approfondie, ce que propose André Poggi en 1976 : ce sera le programme IAGO.

 

Après la disparition de son promoteur, le projet est repris par la météorologie nationale et son établissement de recherche météorologique. Une grosse campagne d’été, sur le continent, en 1986, va accumuler les résultats : chaîne de pylônes aérologiques (anémo-girouettes, sondes de température et d’humidité, capteurs de pression, ..) interrogés par radio entre le rocher du débarquement et carrefour, radiosondages, avion instrumenté télécommandé, cerfs-volants, etc. Ce sera un succès complet qui éclairera le mécanisme du phénomène.

 

Perpectives d’avenir

Au début des années 80 il apparaît clairement, à travers diverses concertations scientifiques, que, si la base Dumont-d’Urville est un excellent observatoire de l’environnement physique de la planète et de sa biosphère, elle ne peut satisfaire, ne serait-ce que par sa situation, d’ambitieux programmes de recherche qui commencent à se révéler. Il faut travailler en mer et s’enfoncer à l’intérieur du continent. Et pour cette dernière option une nouvelle base continentale est nécessaire. Son étude démarre en 1985. Le site choisi est à nouveau le Dôme C qui convient aux glaciologues, comme on l’a déjà vu, mais aussi aux spécialistes de l’atmosphère moyenne et aux astronomes.

 

L’expérience que les EPF ont des bases continentales, Station Centrale et Jarl-Joset au Groenland, Charcot en Antarctique, a montré la limite des constructions immergées dans le névé. Si l’isolation thermique que procure la neige permet des économies d’énergie, elle empêche l’évacuation des calories et finit par fondre et inonder la station. De plus les mouvements de la glace ont raison de la résistance mécanique du bâtiment. La nouvelle station, à laquelle Paul-Émile Victor donnera le nom de Concordia, sera donc édifiée sur pilotis comportant des vérins pour assurer la pérennité de son dégagement du sol et sa stabilité. À 1 000 km de la côte elle ajoutera un sommet nouveau au maillage géophysique de la Terre, mais surtout, à l’intérieur du vortex polaire, elle sera le site privilégié pour l’observation de l’atmosphère moyenne –  » le trou d’ozone  » – et, compte tenu de son altitude, 3 200 m, de la sécheresse de l’atmosphère et de la faible nébulosité, un observatoire astronomique incomparable.

En 1992 les Expéditions Polaires Françaises transmettaient à l’Institut Polaire la gestion des opérations polaires pour la France avec un bilan remarquable par ses réussites et son rayonnement international.

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