CONTE DE FÉES

Texte de Paul-Émile VICTOR
Extrait du journal Carrefour du 7 Mars 1946.
Avec l’aimable autorisation de la Famille Victor.

Écoutez l’histoire de Tabluki (ce qui veut dire en esquimau : « celui qui a un petit menton »), et pardonnez-moi de vous raconter une fois de plus une histoire du Grand Nord.

J’ai rencontré pour la première fois Tabluki à Paris, il y a environ un an, alors qu’il ne s’appelait encore que J.-P. Michea. Raymond Latarjet, l’un de mes compagnons du voyage de Laponie en 1939, me le présenta. Il était étudiant et avait vingt-cinq ans. Pas très grand, d’aspect plutôt frêle, des cheveux en broussaille, presque pas de menton. De plus, timide et effacé. Il voulait partir pour l’Arctique. Ce qui n’avait rien d’étonnant. J’en ai rencontré beaucoup qui veulent partir…

Nous étions en pleine guerre. Von Rundstedt venait de crever nos lignes dans les Ardennes. L’avenir semblait sombre.

– Je veux partir en juillet prochain, me dit-il.

Je le regardai mieux. C’est alors seulement que je remarquai ses yeux, de vrais yeux de garçon qui veut vivre (je fais emphatiquement la différence entre VIVRE et EXISTER ou SUBSISTER).

– Vous êtes fou !, ne pus-je m’empêcher de lui répondre. En pleine guerre ? Et dans l’Arctique par-dessus le marché ! Dans l’Arctique, qui est devenu stratégiquement tellement important que le voile du secret est descendu sur lui depuis le commencement de la guerre !

– Ça ne fait rien, dit Michea tranquillement. Je sais… Mais je me suis fixé cette date, car si on ne se fixe pas une limite, on a une bonne chance de ne jamais partir du tout.

Il est parti en pleine guerre, malgré toutes les énormes difficultés que représentait une telle entreprise. Mais sa plus grande réussite, à mon avis, n’est pas d’avoir obtenu les autorisations nécessaires, les visas, les places sur les bateaux ou sur les avions, mais d’avoir réussi à se faire attribuer par le gouvernement, en pleine guerre, en juillet 1944, une subvention officielle de – tenez-vous bien – 100.000 francs*, à toucher au cours du jour en dollars, c’est-à-dire une subvention de 2.000 dollars. Et Michea était un étudiant comme un autre, qui ne connaissait personne dans les ministères.

Et aujourd’hui, Michea-Tabluki est à Chesterfield Inlet, sur la Baie d’Hudson, où il fait son apprentissage d’ethnographe arctique.

L’Aventure-Conte-de-Fées-pour-Grandes-Personnes… Vous le voyez bien : les fées existent. Mais elles s’appellent : vouloir toujours et ne désespérer jamais…

* 100.000 FF en 1939 = 44.514 euros

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