Ravitaillement Aérien au Groenland

A gauche Emile Talbot aux commandes du B 24 Photo R. Kirschner

Air France, UTA, la majorité d’entre nous, a voyagé à bord de leurs appareils pour se rendre au Groenland, (jusqu’à Copenhague), en Australie ou sur les lignes africaines. Ce que vous ignorez peut-être (je m’adresse évidemment aux plus jeunes pour ne pas dire aux moins vieux !) c’est que, UTA a été crée par des hommes qui ont participé aux Expéditions Polaires Françaises. Le 13 octobre 1949, les Chargeurs Réunis créaient, avec Air France, Jean Combart et Roger Loubry la compagnie UTA.

Jean Combart et Roger Loubry, anciens navigants d’Air France, avaient fondé en 1948, leur propre compagnie : la SATI (1). Un des exploits de cette compagnie fut, en juillet 1949 de réaliser le ravitaillement de l’expédition au Groenland en larguant 80 tonnes de matériel en 13 missions.

J’ai découvert il y a quelques temps des photos d’époque de ces merveilleux fous volants et de leurs drôles de machines, en fouillant dans une brocante de ma belle Charente Maritime. Puis avec Georges De Caunes j’ai entendu de nouvelles anecdotes et me suis rappelé les histoires que m’ont rapporté des « Géants » (2) comme Robert Guillard, Gaston Rouillon ou Camille Marinier. Tout ceci m’incite, à mon tour, à vous rapporter cette phase de l’expédition et à rendre hommage à ces hommes qui refusaient d’étouffer dans une sorte d’enlisement bureaucratique et avaient une certaine nostalgie de la belle époque. Outre les confessions de certains participants, c’est avec le compte rendu de Léandre Fallou et du rapport préliminaire des EPF « Ravitaillement Aérien des Expéditions Françaises au Groenland 1949-1950-1951 » que je vous propose cette partie de l’expédition au Groenland.

Les hommes

Donc à la tête Roger Loubry, ancien sous-marinier, ex-capitaine d’armement de la marine marchande, chef pilote du réseau atlantique Nord. Jean Combard, chef mécanicien des réseaux longs courriers. A leurs côtés, Antoine Veillard et Jean Pierre Villacéque, commandants de bord sur l’Atlantique Nord ; Jean Gay, instructeur sur l’Atlantique Nord ; Jean Jacques Stephano chef de file radio-naviguant sur l’Atlantique Nord ; Léandre Fallou, chef radio-naviguant des réseaux longs courriers ; Émile Talbot, instructeur mécanicien naviguant sur l’Atlantique et André Montet, mécanicien naviguant, pionnier de l’Atlantique Sud aux côtés de Mermoz, moyenne d’age 37 ans. Le financement de départ est assuré par Roger Nathan.

Au siège social, 109 Bld Haussmann, deux personnes constituent le staff administratif. Georges Roucayrol et « Miss » Bouquet cumulent les postes. La partie technique s’installe à Cormeilles en Vexin. L’équipe, d’un profil identique, provient de chez Amiot, Air France, Hispano.

Le LB 30 Liberator Photo R. Kirschner

La flotte

La flotte est constituée de trois appareils LB 30  » Libérator  » version cargo du célèbre bombardier. Construit par Consolidated Vultee Aircraft Corporation, équipé de 4 moteurs Pratt & Whitney Twin Wasp R-1830-65 à 14 cylindres en double étoile de 1200 ch. Envergure 33,50 m ; longueur 20,47 m ; hauteur 5,49 m. Masse à vide 16.875 kg ; masse maximum au décollage 29.485 kg ; vitesse maxi 465 km/h , vitesse ascensionnelle 275 m/min ; plafond 8.500 m ; rayon d’action 7000 km.

Un des équipages en partance vers le Groenland : de g à d, A. Boccone, G. Walrand, P. Willund, Cpt Dunan, Georges de Caunes , assis, J. Ertaud, Roger Kirschner

Le B 24 fut construit à 18.188 exemplaires en douze modèles différents ! un record de fabrication. Les équipages disaient de lui « Il ressemble à un camion, transporte des lourdes charges comme un camion et vole comme un camion ». Ces trois avions ont échappé à la casse et après une remise en état sommaire à Shawnee en Oklahoma ils sont dirigés vers Cormeilles pour y subir les modifications les rendant aptes à remplir toutes sortes de missions. C’est ainsi que l’on retrouve notre équipe de copains transportant de la vanille de Madagascar en Europe, convoyant un arbre de couche de bateau jusqu’à Sydney, des chevaux de course vers l’Argentine, de l’étain entre Kunming en Chine et Haiphong. Les Liberator de la SATI sont à Dakar, Saigon, Brazzaville, au Proche Orient.

Une rencontre fortuite

Au cours d’un vol en New York et Paris, le chef pilote, Jean Dabry, ancien compagnon de Mermoz reçoit dans le cockpit de son Constellation Paul-Émile Victor. Très vite les hommes sympathisent. P. E. V explique à J. Dabry qu’il recherche un support aérien pour ravitailler l’expédition de 1949. Dabry met P. E. Victor et Laubry en contact et l’accord fut conclu.

L’Aventure commence

Dès mars 1949 les acteurs débutent les travaux d’organisation. Une corrélation parfaite doit exister entre l’équipage et les membres de l’expédition. Léandre Fallou rencontre Robert Rouet le radio pour tracer le plan d’action. Rouet explique au radio naviguant où les parachutages devront avoir lieu. Au centre du glacier, à 400 km de la côte au lieu dit « Station Centrale ». Dès que les membres de l’expédition aurons atteint ce point, le ravitaillement aérien pourra débuter. Les moyens de radioguidage, la gonio HF, fréquences, les horaires sont énumérés et fixés. Ceci permettra à l’équipage d’être dirigé directement et rapidement sur l’objectif. Un appareil radio de secours en cas d’accident est même prévue. Il s’agit du « Gibson Girl ». Une liaison journalière aura lieu entre l’expédition, l’équipage et la station de La Tour-Maubourg. Pendant que l’expédition progresse sur l’inlandsis, c’est l’effervescence à Cormeilles dans les locaux de la SATI. L’appareil choisit est le F-OAAF(*). Le système de dégivrage des hélices et du bord d’attaque des ailes et des empennages est installé. Un chemin de roulement pour faciliter l’éjection des colis est fixé au centre de la carlingue ainsi qu’un dispositif de communication entre la soute et le poste d’équipage.

Au Groenland, les conditions climatiques perturbent la progression et engendrent des pannes mécaniques. En particulier la casse des chenilles devient le souci premier. Un parachutage anticipé s’impose. En ce 11 juillet branle-bas de combat à la SATI. Le F-OAAF est en préparation, le F-OAAE est à Saïgon et le F-OAAD arrive de Dakar posé à 13h57 à Orly est dirigé sur Cormeilles à 15h32. Toute la nuit l’équipe au sol s’affaire. Le 12 la presse relate et dramatise l’évènement en en faisant ses gros titres.

 

Cet appareil était prédestiné à des opérations particulières puisque, le 3 novembre 1949, il rapatria les trente-trois dépouilles françaises victimes de l’accident du Constellation qui s’écrasa dans les Açores, le 27 octobre, avec 48 personnes à son bord dont aucune n’a survécu. Parmi celles-ci se trouvaient le champion de boxe des poids moyens Marcel Cerdan et la violoniste Ginette Neveu.

De gauche à droite : Stephano, radio - Loubry, pilote - Talbot, mécanicien

Le décollage est prévu à 15h. Les membres des E P F de Paris arrivent avec des caisses de vivres frais, jerricans d’essence mais surtout les précieuses chenilles. Le complément sera pris dans le stock de Keflavik. La température est de + 35°. Avec l’équipage embarquent Jules Grangier un mécanicien naviguant, cinq hommes des EPF et Georges De Caunes total onze à bord. Le décollage a lieu à 17h , verticale Preswitch à 19h38 à 10.500 pieds R.A.S. Les essais radio pour contacter l’expédition restent vains. Paris est informé de l’heure d’arrivée en Islande. Cette information est retransmise aussitôt au convoi.

L’atterrissage sur le terrain de Keflavik a lieu à 0h10 le 13 juillet. Après une restauration rapide, le chargement de l’appareil se poursuit avec une attention particulière à la répartition des charges. Loubry et Comet ont déposé le plan de vol. Impossible d’accrocher OYD (l’indicatif du convoi). 6h21 décollage après une autorisation de la tour bien particulière quant à la destination puisque celle-ci est inconnue ! Distance 1200 km, sans météo, sans radioguidage, altitude 12.000 pieds et toujours le black-out radio, le vol se poursuit. La côte est atteinte puis le désert blanc défile à 320 km/h sous les ailes de l’avion. A 8h15 il a effectué la moitié de son vol et toujours pas de contact radio. Le moteur 3 donne des signes inquiétants. Le visage de Loubry s’assombrit. « Fallou si dans cinq minutes nous ne les avons pas accroché nous faisons demi-tour ». Puis à 8h55 le convoi est en ligne. L’heure estimée est signalée à Rouet. « Donnez votre position » – « 70.22.50 Nord et 44.09.10 West » et Rouet rajoute « Nous ne vous attendions pas si tôt ». Rectification du cap, le contact est maintenu. Encore faut-il voir le convoi car le radioguidage est prévu pour station centrale et n’est donc pas opérationnel. C’est Rouet qui émet en permanence et l’avion qui utilise sa gonio. A 1000 m au dessus de la neige tout l’équipage scrute ce désert blanc. La gonio capte de faibles signaux qui s’amplifient. Fallou le radio indique la direction à prendre puis Loubry, un instant après, crie « LES VOILA ! ». Réduction des moteurs et piqué sur le convoi. Les fumigènes donnent la direction du vent et, à l’aide des weasels, les membres de l’expédition ont tracé la DZ. La porte est ouverte et le cockpit aussitôt rempli d’un courant d’air glacial. Les passages se succèdent et les colis s’éparpillent sur la neige. Ces largages ne durent que 20 secondes et un passage s’effectue toutes les 8 minutes. Le travail à bord ne consiste pas qu’à pousser le colis, encore faut-il, aussitôt chaque largage effectué, répartir les charges pour éviter un décentrage trop dangereux. Le largage des colis et celui des bombes ne pose pas les mêmes problèmes ! Le droppage terminé l’avion reprend de l’altitude pour le parachutage des chenilles. Puis le dernier passage s’effectue au ras de la neige (si bas qu’il est arrivé que des avions touchent la neige, un Nord 2501 a laissé toutes ses antennes en 1967) pour larguer le courrier et deux jerricans de vin barrés d’une bande tricolore. Le 14 juillet c’est demain ! Puis le passage traditionnel de l’au revoir avec battement d’ailes. L’opération a duré 1h50, le F-OAAD reprend de l’altitude, direction l’Islande.

Station Centrale vue de l'avion, l'ombre du LB 30 sur le sol

La mission se termine par le message de Loubry : « Arrivée sur Victor 10h15 stop parachutage parfaitement réussi terminé à 12h00 stop avons largué 10.700 livres de matériel stop moteur trois vibre depuis arrivée sur Groenland magnéto droite coupée bougies avant à changer stop pensons réparer avant la nuit pour arriver à Cormeilles fin matinée 14 stop Loubry ».

A cette première opération a succédé une deuxième qui comprit 13 parachutages entre le 25 juillet et le 5 août. A souligner qu’à plusieurs reprises les équipages ont effectués deux parachutages dans la même journée ! Le dernier parachutage a eu lieu dans des conditions climatiques plus difficiles (-35°C au sol, imaginez la température dans la soute !) Au total 52.060 kg ont été droppés, 14.385 kg parachutés pour un total de 188 heures 27 minutes de vol.

(1) SATI : Société Aérienne de Transports Internationaux
(2) Géants : Nom que se sont donnés les participants aux premières expéditions au Groenland.

Photos : R. Kirschner, J. J. Languepin.

Texte et iconographie collection : Georges GADIOUX

Retour de l'expédition au Groenland, en 1949

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